samedi 31 mai 2014

Valle Fértil

J'avais noté qu'il n'y avait pas grand chose à voir à San Juan, et je n'aurai pas le temps de juger sur place, me devant de quitter les faubourgs après la mise à jour du site avant que la nuit ne tombe.
Et puis les gens que j'ai rencontrés n'ont pas su me la vendre leur ville, me rappelant à chaque fois que je devais faire très très attention à mes affaires. Éternelle rengaine … auto suspicion collective … à des années lumières de Calingasta.

La route vers l'est que je suis pendant 130 kilomètres est bordée de nombreuses vignes, et ces parcelles privatisées qui s'étendent au delà de Caucete ne font pas mon affaire.


Je trouve malgré tout à la nuit tombée un petit coin de bivouac entre une vigne et une voie de chemin de fer désaffectée alors que je suis à peine sorti des dernières fincas.


Paulo trouve sa place attaché à l'intérieur de l'un des wagons d'un train rouillé.


Le matin, un gardien en uniforme de la compagnie de chemin de fer m'interpelle par le auvent de la tente ouvert en me demandant si je n'ai pas trop froid.
  • J'attends un peu que le soleil se lève pour plier bagages.
Mais un peu étonné de sa présence, je lui demande si la ligne fonctionne encore.
  • Oui, la gare est à 300 mètres à peine. Mais pour le vélo ne vous inquiétez pas, les wagons sont hors d'usage !

Ouf. Peut-être d'ailleurs ais-je inconsciemment rêvé que Paulo continuait le voyage sans moi, en me toisant du coin du guidon pour me dire qu'il en avait ras les pneus de ces sempiternelles crapahutes sur des chemins de cailloux.
« Lace bien tes chaussures, moi je finis en train ! »

J'arrive au village de Vallecito un dimanche midi, au milieu duquel trône un sanctuaire de la « défunte Corréa », l'histoire d'une femme retrouvée morte après avoir traversé le désert de Cuyo mais qui continuait à allaiter son enfant, qui survécut.

Paulo m'a finalement suivi ; quelque part sur la photo...




Les marches sont entourées d'ex-voto...



mais on y trouve surtout des vieilles plaques d'immatriculation ; ah la sacro-sainte bagnole !!


Au sommet, il y a une petite file d'attente, pour implorer auprès de Correa un miracle.


Mais le site est surtout l'occasion d'une sortie dominicale en famille autour d'une viande grillée.
Un circuit de quads pour les petits, et pour les moins chanceux, dévaler la pente en béton depuis la chapelle le cul assis sur une bouteille en plastique écrasée offre une sensation bien plus grisante.
Une vraie fête populaire où je m'attarde un peu, et c'est comme ça tous les dimanches me dit-on.




Pour arriver à Vallecito, j'ai eu droit à un chemin quasi privé, jalonné de coins pique-nique, sans doute aménagé pour les pèlerins faisant le voyage à pied.
Ce fut un réel plaisir de parcourir 30 kilomètres de piste cyclable sans avoir à se soucier des camions. Et ça, en Argentine, pour le coup, c'est un vrai miracle !


Des petits panneaux m'indiquent la faune qui peuple ces espaces quasi-désertiques

le "jote" à tête noire, ou celui à tête rouge, déjà croisés dans le sud



et des animaux moins sympathiques, comme ces serpents « yarara »





le scorpion




ou la veuve noire, mais dont la timidité occasionne peu d'accidents … me voilà rassuré !


En obliquant vers le nord à Marayes, j'entre dans le parc naturel de Valle Fértil. Après 60 kilomètres la route 510 se met à longer la sierra. Les quelques villages traversés sont posés autour d'un cours d'eau qui coupe la route par un mince filet d'eau.
Paysage quasi-désertique constitué d'épineux où les chambres à air ne sont pas à la noce lors des bivouacs trouvés au bord du chemin.
Les quelques oasis permettent la culture de vergers, et finir le repas de midi par un peu de fromage de chèvre et de confiture de figues étalée sur du pain maison achetés dans une petite estancia d'Astica est un régal nécessaire après avoir ingurgité des kilomètres de faux-plats parfois bien monotones. 




 
San Agustin est le village principal de la Sierra. Un petit lac artificiel, un rio au bord duquel se promener, du soleil, des rues paisibles … il n'en faut pas plus pour que je décide de m'y arrêter deux jours.





Et puis il y a un musée que je me devais d'aller voir, celui sur les pierres.



Un collectionneur du coin y entrepose depuis 2001 un nombre incalculable de cailloux qu'il a ramassés ici ou ailleurs : pierres volcaniques, précieuses ou semi-précieuses, météorites... une vraie bibliothèque pour les géologues. Des échanges ont lieu d'ailleurs avec des musées du monde entier.
Deux autres salles présentent la faune et le flore de Valle Fértil, avec un petit rappel des animaux dangereux, qui heureusement sont moins vivaces pendant les nuits froides.



Le Grand Schtroumph tenait à rapporter un caillou du museo de las piedras … ce ne sera malheureusement pas un diamant, mais une pierre blanche du jardin. C'est toujours ça !


Côté vélo, j'ai entamé une séquence de crevaisons jamais atteinte auparavant ; la faute aux épines du désert, et aux pneus chiliens qui ont la particularité un peu embêtante d'absorber toutes les pointes qu'ils rencontrent. Je me demandais pourquoi je voyais tant de cyclistes regonfler leurs pneus dans les rues de Santiago … je commence à « apprécier » pourquoi.
A San Agustin, la chambre neuve coûte 11€ : j'ai bien l'impression de lui payer son voyage. J'opte donc pour la rustine à 10 centimes et un peu de colle sur les doigts pour refaire mon stock de chambres à neuf.
Je déplie pour la première fois le Marathon de luxe gardé pour les circonstances exceptionnelles et le chausse à l'arrière, le temps de trouver un pneu plus efficace.

Je reprends la route avec toujours cette succession de longs faux-plats en ligne droite, et passe au milieu de deux parcs nationaux qui renferment des décors lunaires, mais que je ne visiterai pas pour cause d'un prix d'entrée un peu hors budget.
Et puis ils se découvrent seulement à bord de voitures apprêtés par les parcs … Paulo risque de faire un peu la gueule !


entre modernité...

... et ancienneté
 de la chapelle ou de la R-12, laquelle a plus de cent ans ?


paysages semi-désertiques...






le soir tombe sur Talampaya...
 



Je rejoins la route 40 et Villa Union le lendemain, avec vue sur le Cerro Belgrano à 6250 mètres d'altitude.





























samedi 24 mai 2014

Un petit détour par Calingasta

Avant de quitter Mendoza, je fais un dernier passage à l'Alliance française pour saluer Franck et le remercier de son accueil.


Je quitte la ville par l'avenue San Martin qui conduit tout droit à la route des thermes de Villavicencio. A peine 30 kilomètres et je m'arrête avant le début de la montée. Le pneu arrière manque d'air. Encore un ersatz (aujourd'hui une épine) de mon arrivée de nuit à Mendoza par la quatre voies qui a échappé à ma vigilance. Mes chambres à air sont à égalité : elles ont toutes au moins une rustine.

Je profite des coins pique-nique improvisée par les familles au bord de la route pour me choisir un endroit pour la nuit, et me lance le dimanche à l'assaut de la montagne.

La route devient ripio après l'hôtel des thermes et arpente les hauteurs en de nombreux lacets.











Des panneaux annoncent la présence du puma, du zorro et des guanacos.
C'est toujours un plaisir de retrouver ces derniers animaux au comportement grégaire dont le mâle dominant est chargé de la sécurité du troupeau.


Quand je bivouaque à quelques encablures du col, ce mâle restera longtemps à m'observer, avant de rejoindre sa horde de l'autre côté du mont.



Au lever du soleil la vallée est sous les nuages.



Je poursuis vers le col, où la grande croix blanche (« Cruz de Paramillo ») plantée par les jésuites au 17ème siècle est toujours debout. 

 
Je suis sur l'ancienne route coloniale datant du 16ème siècle qui permettait depuis Mendoza de rejoindre le Chili, et qu'utilisaient les troupes du général libérateur San Martin.
Elle permit également l'essor de l'activité minière au 18ème siècle, dont il reste quelques vestiges.



La descente jusqu'à Uspallata se fait par une route à moitié bitumée. Je quitte cette petite ville de montagne déjà visitée il y a une semaine par le nord par un bel itinéraire en faux-plats qui glisse en douceur sur un étroit plateau coincé entre deux sierras de la Cordillère andine.





 Asphalte qui là aussi devient piste. Un renard dort, allongé au milieu du chemin ; « il a deux trous rouges au côté droit ». Même sur ces espaces quasi déserts les automobiles sont des tueuses implacables pour la faune imprudente.

L'arrivée à Barreal annonce un changement dans le paysage ; je longe le rio Calingasta jusqu'à son entrée dans la ville éponyme.
Arbres, champs labourés et vignes apparaissent comme par enchantement là où il n'y avait hier que des cailloux … 






Le temps est au soleil malgré les nuits un peu fraîches. Je quitte donc Calingasta sans me soucier de la météo. Les quelques maisons en adobe du bord de route se confondent avec les collines arides.



À Villa Nueva je bivouaque à l'abri du vent au milieu de petits arbustes épineux. Le vent tombe à la nuit, et est remplacé au matin … par une pluie verglacée.
Je plie la tente après la première averse et repars vers le nord. Au programme, un chemin de terre de 90 kilomètres aux indications à priori imprécises. Mais je n'irai pas loin : à la sortie du village un panneau sans doute planté du matin annonce la fermeture du camino.



Finalement, après renseignement pris à la gendarmerie, la route est fermée depuis longtemps à cause de travaux
  • Et vous ne pouviez pas l'indiquer à Calingasta ?
  • Oh mais malgré l'interdiction les gens passent quand même
  • (…) ?!

De toute façon je ne me sens pas aventureux pour cette piste : indications aléatoires + travaux + météo exécrable = de grandes chances d'y laisser des plumes.

Je refais à l'envers les 40 kilomètres vers Calingasta et je ne le regrette pas : pluie, froid, et finalement neige me font opter dès mon arrivée dans la ville pour le camping municipal.
Le gardien qui me voit arriver a dû prendre pitié de moi, car il me laisse camper gratuitement ; j'ai les pieds tellement gelés que l'eau chaude de la douche m'occasionne de belles douleurs aux orteils avant qu'ils ne s'habituent à nouveau à une température normale.

C'est finalement l'occasion d'en apprendre un peu plus sur ce village de montagne aux richesses insoupçonnées : mines d'or, de magnésium et de sulfate d'aluminium (utilisé pour le traitement de l'eau). Y ajouter un carnaval d'une semaine et des concerts chaque week-end de l'été, des rivières poissonneuses, de nombreuses cultures maraîchères …
On y fabrique même du cidre voué à l'exportation vers l'Europe, avec la marque notamment « la Capilla » : la petite crêperie de Mendoza qui ne propose pas de bolée sur sa carte ne devrait pas avoir d'excuses !

Je file dès le lendemain vers la vallée sous le soleil.
Belle descente d'abord de 45 kilomètres en rive droite du rio San Juan






Puis en passant le pont, une bonne montée de 25 kilomètres permet de franchir la sierra del Tigre ; pas d'indication d'altitude au col (sans doute au delà des 2000 mètres), mais juste la distance qu'il me reste à parcourir pour San Juan.



Tout schuss donc en cette fin d'après-midi pendant 50 kilomètres avec de jolies couleurs quand le soleil décline.



Doigts gelés cette fois-ci, alors le feu est de rigueur pour installer le campement avec des mains réchauffées.


Dernière étape ce samedi matin, en rejoignant la route 40, où je retrouve le surnom dont on m'affuble souvent quand on me croise chargé comme une mule, sans que cela ne soit forcément péjoratif.

  • Ola, de donde vienes, loco ?
  • Toi-même !


Quitte à revenir en arrière, autant le faire franchement ; plus de 60 kilomètres vers le sud pour arriver à San Juan.
Il y avait 160 kilomètres entre Mendoza et San Juan par la route 40. J'en ai fait quasiment 400 de plus.
Mais manquer le petit détour par Calingasta aurait été dommage. Loin du cliché du montagnard bourru, les gens s'y sont montrés en plus très accueillants.