De
Puerto Natales à Cerro Castillo, la route 9 longe des monts chauves
et d'anciens glaciers devenus lacs aux couleurs transparentes.
Au poste frontière j'oblique à gauche en direction du parc de Torres del Paine, en récupérant le vent de face.
Mais
au bout de 5 kilomètres, au milieu d'une côte, la chaîne casse.
C'est la première chaîne que j'ai remise à Punta Arenas, mais elle
est de moins bonne qualité que la seconde. Patte de dérailleur
faussée, ainsi que le galet inférieur … après remise de la
chaîne je décide de retourner à Cerro Castillo pour passer la
nuit.
Marks m'interpelle dans les rues du village. Il vient de franchir la frontière avec Carlsie, et tous deux se sont réfugiés pour la nuit dans le parc, le long d'une palissade à l'abri du vent, après avoir demandé l'autorisation au poste de police.
Je les rejoints donc. Carlsie, l'Australienne, a démarré son périple en Argentine et fait autant de randonnée que de vélo.
Marks est américain. Il a commencé son voyage à Juneau en Alaska par une descente en kayak jusqu'à la frontière canadienne avec 21 comparses. Puis les les rameurs se sont faits cyclistes.
Mais
après vingt mois sur la route ils ne sont plus que trois à
continuer, éparpillés le long du Pacifique.
Le
lendemain matin je laisse filer Carlsie et Marks qui se sépareront à
Puerto Natales.
Je
retourne quant à moi sur la route du parc, mais cette fois-ci c'est
le vent qui au passage d'un pont m'empêche de poursuivre. Il souffle
sur cette portion de côté et m'envoie à chaque coup de pédale
dans le fossé. Mieux vaut stopper. Je profite de l'abri au pied du
pont pour passer la fin de la journée et bivouaquer pour la nuit.
Jamais
deux sans trois. Le lendemain matin le vent est tombé. Je m'éclipse
sans bruit de mon abri de peur de le réveiller. Le bitume devient
ripio après 20 kilomètres, et c'est sur ces pistes de terre que le
gros caillou du Torres del Paine finit par apparaître au milieu des
lacs sans déversoirs aux eaux très salées bordées de moraines.
Cette
montagne qui culmine à plus de 3000 mètres est coiffée de trois
pics en forme de tour dominant la rivière du Paine, d'où son nom.
Pendant
mon séjour cependant, les trois Torres perdues dans les nuages se
déroberont à ma vue. Il ne me restera plus qu'à les imaginer :
je leur donne volontiers la forme d'Isengrad, où règne le spectre
de Saroumane qui fait naître des vents cinglants et glacials et les
envoie vers toute la Patagonie.
L'entrée du parc est payante. 18 000 pesos, soit environ 25€. Puis à l'intérieur il faut payer le logement, les traversées en ferry ou les navettes de bus … bienvenue au parc d'attraction national du Torres del Paine.
L'entrée du parc est payante. 18 000 pesos, soit environ 25€. Puis à l'intérieur il faut payer le logement, les traversées en ferry ou les navettes de bus … bienvenue au parc d'attraction national du Torres del Paine.
Un
couple de Français croisé à Puerto Natales y avait séjourné
pendant quatre jours : ils se demandaient s'ils ne devaient pas
poursuivre leur voyage en stop.
Je
me contente de faire une boucle à vélo dans la partie non payante
du parc, avec vue sur la cascade du Paine, et les nombreux guanacos
qui ne risquent pas de se mêler les pinceaux sans les fils barbelés.
Ils ont tellement l'habitude des randonneurs qu'on pourrait presque
les caresser.
Sur
le chemin du retour à Cerro Castillo, un camping-car des
Hautes-Saônes m'arrête. C'est l'expédition des 5 partis pour un
tour du monde. Une superbe aventure démarrée il y a maintenant 1 an
et demi.
Ils
remplissent mes bidons d'eau, e donnent un paquet de gâteaux pour le
p'tit dèj de demain … comme ils remontent vers Santiago, nos
routes risquent de se recroiser.
En
quittant le deuxième poste frontière, côté argentin, je commence
un arc de cercle de plus de 200 kilomètres sur le plateau patagon
venteux, avec un passage en ripio de plus de 60 kilomètres. Vent de
dos, puis vent de face. Moit-moit.
Le
froid me saisit tôt le matin et je suis bien aise de rencontrer ce
couple, lui belge et elle australienne, qui m'offrent le café et le
croissant !
Plus
tard, je croise ce cycliste japonais qui après une traversée de
l'Asie et de l'Europe termine son périple en Amérique du sud :
il descend jusqu'à Ushuaïa, puis remonte via les airs en Bolivie
pour s'arrêter au Pérou.
Le
monde des voyageurs est petit, puisque c'est l'ami de l'autre
Japonais que j'avais croisé à la Panaderia de Tolhuin.
Peu
avant d'arriver à El Calafate, le pneu arrière éclate. C'est celui
changé à Buenos Aires : il aura tenu à peine 5000 kilomètres.
Je profite d'une ville pour le changer, ainsi que de faire le plein
de victuailles. Je retrouve les produits argentins auxquels j'ai eu
le temps de m'habituer.
Passage
par la case internet … je quitte El Calafate à 15h en prenant la
direction du PN de los Glaciares.
La
route 11 longe le lac Argentino avec en toile de fond des pics
avoisinant les 200 mètres d'altitude. Le soleil décline au fil de
mon avancée contre un vent fort mais plutôt conciliant, quasi
noirmoutrain.
Belle
après-midi cyclote, dans un décor très norvégien qui me fait
arriver au Rio Mitré à 20h.
Pause
dîner, que je prolonge jusqu'à 22h, puis reprise du vélo vers
l'entrée du parc en espérant me faufiler à la tombée de la nuit.
Car faire payer l'entrée d'un site naturel me paraît toujours
abuser. Mais le gardien veille. Retour donc au rio Mitre où je
bivouaque en compagnie des renards.
Le
lendemain matin, je suis parmi les premiers à franchir la porte du
parc. Mais les 30 kilomètres de route accidentée et venteuse qui
longe le Brazo Rico me font arriver bon dernier au pied du glacier
Perito Moreno.
Un
réseau de 4 kilomètres de passerelles inaugurées en 2011 permet
d'avoir une vue de premier plan sur ce site exceptionnel inscrit au
patrimoine de l'Humanité.
Le
front de ce gigantesque bloc de glace (plus grand continent blanc
après l'Antarctique) vient se heurter à la péninsule de Magellan
qui lui fait face. Régulièrement, de gros blocs de glace s'en
détachent et alimentent sous forme de gros icebergs le lac
Argentino, ainsi que le Rio Santa Cruz qui va se jeter dans
l'Atlantique après avoir dévalé le plateau patagon.
Là
aussi cependant, le site est exploité de façon qui me trouble un
peu. Les convois de bus organisée en charters depuis El Calafate me
font prendre conscience de ce que l'expression Industrie Touristique
signifie.
retour des bus en convoi vers El Calafate
un safari pour voir le glacier d'encore plus près
Tout
comme Puerto Natales au Chili, la capitale autoproclamée des
glaciers, avec ses multiples hôtels et restaurants, vit
exclusivement de la manne touristique.
Je
préfère garder de la ville l'origine de son nom, à savoir le petit
fruit plein de vitamines de cet épineux – el calafate – dont se
nourrissait les premiers habitants des lieux, et dont Jimena, une
gardienne du parc, se plaît à me faire goûter, et dont ses enfants
s'amuseront de ma langue devenue bleue.
En
remontant vers l'entrée du parc, une belle surprise m'attend au
détour d'un virage. Le « camion 56 » de Rachel et
Patrice, en route vers le glacier, s'arrête à ma hauteur. Des
retrouvailles sympas après avoir bourlingués chacun de notre côté
sur quasiment les mêmes routes. On se retrouvera le soir au bord du
Lago Roca, au sud du Brazo Rico.
Cette
partie du parc est assurément plus tranquille. Je pars au matin à
l'assaut du petit Cerro de los Cristales, haut de 1270 mètres, mais
qui me donnera après une bonne crapahute de deux heures un superbe
aperçu des cimes glacées des montagnes andines dominant les lacs et
canaux aux eaux transparentes.
C'est
le domaine du « lion des Andes », dont une notice au pied
du sentier rappelle la conduite à tenir en cas de rencontre avec ce
splendide animal aux mœurs plutôt nocturnes.
Au
sommet, les Tours du Paine, au sud, sont plus que jamais sous les
nuages. La magie de Saroumane semble s'y prolonger indéfiniment. Je
brandis donc mon bâton ramassé au pied de la dernière côte, et me
fais Gandalf le Gris pour faire obstacle aux vents démoniaques :
« vous ne passerez pas ! »
Je
retourne à El Calafate par la route-piste 15, en gardant en mémoire
ces superbes paysages qui pendant trois jours ont défilé sous mes
yeux.
Séquence exaltation.
Séquence exaltation.