lundi 23 décembre 2013

murs de poussière

La sierra de Salamanca m'amène sur le plateau où je rejoins la route 3.


Au croisement avec la piste je fais la rencontre d'Arril. Il passe avec sa machine pour damer les pistes de la province. Bien qu'il vive à Sarmiento, il loge pendant ses missions dans un petit mobile home qu'il déplace au fil de son avancée. J'y partage le maté avec lui avant de filer sur la route où je récupère le vent d'ouest froid, sec et fort qui vient du Chili.

Comodoro Rivadavia est la capitale de la province du Chubut qui vit depuis un siècle de la manne du pétrole. 
 

Le musée du pétrole y a bien sa place.


La cathédrale de style gothique moderne date de 1978. L'intérieur, avec sa grande peinture murale au dessus de l'autel mérite le détour.


Le petit musée sur le train aussi, à l'époque où les produits agricoles de la région de Sarmiento étaient acheminés par voie ferroviaire au port de Comodoro.
On y trouve en plus de belles maquettes sur tous les phares de la Patagonie, où on confirme que le plus vieux est bien celui de Condor, la ville des perroquets.


La ville est très cosmopolite. Avec ses origines européennes d'abord, et cet hommage rendu par les immigrants italiens.


Mais surtout par sa diversité ethnique, où l'on croise de nombreux Boliviens, Péruviens et autres habitants d'Amérique latine, ce dont m'avait parlé Arril.

Je file à 15 kilomètres au sud à Rada Tilly pour voir une colonie de lions de mer qui s'est établie à 2 kilomètres de la plage au bout de la Punta Marquès.
Le petit centre d'interprétation permet d'en savoir plus sur ces animaux chassés quasiment jusqu'à extinction au siècle dernier pour la confection de vêtements.
Les deux jeunes qui gardent l'entrée sont passionnés par leur travail et sont très investis dans la conservation de la flore et de la faune patagone.

Rada Tilly

Punta Marquès




La nuit au camping fut agitée. Rada Tilly n'est pas la capitale du char à voile pour rien.
Les rafales de vent sont tellement fortes que toute la poussière de la ville vient se réfugier dans les absides de la tente, heurte les portes de la toile intérieure, et les plus fines particules finissent par rentrer par le maillage pourtant étroit de la moustiquaire.
Je me retrouve au matin avec une belle petite couche de poussière toute tamisée.
Ma maison a des murs de poussière. Les fixations ont bien souffert.
Moins que celle de la petite colonie qui s'est installée à côté. La moitié des tentes est quasiment parterre, et quand je vais pour prendre mon petit-dèj le matin, le sol de la cuisine est squatté par une bonne partie des enfants qui ont dû se réfugier ici pendant la nuit.

Le lendemain, sur la route 3, le vent a fait des dégâts : ce n'est pas de la poussière (polvo) dont ce camion couché sur le bas-côté aurait dû se méfier.


Je poursuis donc ma route vers le sud, par la route 3, qui longe la mer jusqu'à Caleta Olivia, avant de remonter sur le plateau patagon en empruntant de petits canyons bien venteux.

Costa Azul

Chaque jour je m'efforce de résoudre cette petite équation mathématique intégrant des vecteurs force dont les paramètres sont sans cesse changeants :

P + F(V) + F(M) = (E)

où P représente le poids du vélo, F(V) la force du vent, F(M) la force motrice, ou force des mollets, et (E) une somme … d'Emmerdements !

Je profite d'un bivouac en face le golfe de San Jorge pour assister au lever de soleil sur la mer.


Caleta Olivia est une ville également tournée vers l'exploitation du pétrole. Les derricks situés sur le bord de la route 3 donnent l'impression que le pétrole une fois extrait du sous-sol y est directement déversé dans les camions de la compagnie « YPF » qui desservent toutes les stations de l'Argentine.


 Caleta Olivia



A partir de Fitz Roy la route 3 quitte l'Atlantique. Les points de ravitaillement se font rares. Le pueblo de Tres Cerros (« trois sommets ») n'est en fait qu'une station service où je ne trouverai que quelques laitages, de l'eau et des sandwichs un poil trop secs.

Tres Cerros

Dans ce paysage de steppe la flore se réduit à quelques épineux au ras du sol. Les fleurs qui s'épanouissent au printemps ont leurs racines qui courent parallèlement au sol pour capter le maximum d'eau issues des quelques précipitations réparties sur l'ensemble de l'année.

La faune comprend de nombreux petits rongeurs, des reptiles ou des tatous.








J'y croise toujours lièvres et nandous.
Les guanacos donnent l'alerte dès qu'ils me voient arriver et s'enfoncent dans la steppe en sautant par dessus les clôtures.
Ce jour là, une fois arrivé sur le lieu où ils se sont échappés, je remarque une masse inerte sur ma droite. Je quitte la route, et suis bien surpris de trouver un guanaco qui a raté son saut. Il gît sur le sol de façon grotesque avec son long cou enroulé par terre et une patte postérieure prise dans un fil de la clôture, qui heureusement n'est pas barbelé.
J'essaie de lui dégager la patte, mais rien à faire, elle est irrémédiablement coincée. Je vais chercher mon couteau, et l'oeil du guanaco s'affole un peu à la vue de la lame. Pas le choix, j'entame une coupe énergique du fil de fer épais pour libérer l'animal, qui se vautre sur le sol une fois sa patte dégagée.
Le temps d'aller chercher l'appareil et l'oiseau est déjà au loin, boitillant assez sévèrement.

Je m'en vais reprendre Paulo lorsque je vois en contrebas un autre guanaco prisonnier de la clôture. Décidément il sont dû vraiment s'affoler en prenant la fuite.
Comme j'ai l'appareil en main je filme mon approche, et y découvre un jeune guanaco, complètement paniqué quand il me voit arriver.

jeune guanaco (vidéo)

Je stoppe rapidement la caméra et libère le jeune animal, cette fois-ci plus facilement que l'adulte car le fil de fer avait déjà été arraché.
Dès qu'il a les quatre pattes sur le plancher des vaches le jeune maladroit se carapate aussitôt en rejoignant en boitant la horde qui a suivi toute la scène de très très loin.
Peut-être que les gauchos qui surveillent l'état des clôtures (à cheval comme je l'ai vu faire il y quelques jours) trouvent-ils des guanacos morts qu'ils se servent le soir à dîner ?

La monotonie de la route est parfois rompue par quelques rencontres, comme ces deux motards argentins qui rentrent à Buenos Aires après avoir gagné la Terre de Feu par la route 40.


Ou par ce magnifique circuit côtier de 30 kilomètres qui me fait gagner Puerto San Julian par une piste parfois difficile mais qui me réserve de superbes images sur les plages quasi désertes du nord de la ville.





Le mirage Dagger pointe son nez vers l'océan. Cet avion réalisa la première mission depuis la base aérienne en direction des Malouines le 1er mai 1982.
La guerre avec le Royaume-Uni fit rage, et Miss Maggie y conforta son titre de « Dame de fer ». Les Anglais sont encore aujourd'hui en possession de ces îles qu'ils appellent Falkland.


Magellan célébra à San Julian sa première messe sur le sol argentin le 1er avril 1520. Un monument commémore l'événement.


Le Nao Victoria est une réplique de l'embarcation du navigateur portugais. La visite est malheureusement impossible aujourd'hui, car le vent y est trop fort.


Ce vent d'ouest m'empêche de reprendre la route ce midi. Je change mes plans et opte pour une étape de nuit.

Avant le départ à 19h30 ce futur cyclotouriste vient me souhaiter bonne chance.


Le vent est encore fort et les 3 kilomètres pour rejoindre la route 3 sont bien difficiles. Le soleil décline lentement et la lune prend peu à peu le relais au nord-est.
La circulation automobile baisse peu à peu, et le vent devient quasi nul de 3h à 6h.

Je franchis à l'aube le Rio Chico, et arrive au matin à Piedra Buena où les rives herbeuse et arborées le long du Rio Santa Cruz me permettent de me reposer de cette nuit froide.




Je reprends le vélo le dimanche matin en direction du sud toujours. Cette fois le vent souffle du nord-est. J'en profite donc pour doubler l'étape ; plus de 200 kilomètres d'une journée toute finlandaise où guanacos et épineux remplacent rennes et résineux.
Le climat devient plus norvégien, avec le froid maintenant installé depuis quelques jours et de nombreux nuages sans pluie pour le moment.

Je traverse trois fleuves, dont le Rio Coyle, avec sa colonie de flamants roses, et ses pêcheurs de truite de mer.




Je dors au bord du Rio Gallegos, à 25 kilomètres de la ville éponyme que je gagnerai demain.
La nuit fut d'un calme absolu, mais dès le matin le vent revient en force. Le temps de prendre ma douche, et la tente s'envole.
Un pêcheur vient m'aider pour la replier avant que les dégâts ne soient trop importants. Bilan : un arceau cassé, et un bout de toile déchiré.
J'en ai décidément pas terminé avec ce vent, véritable fléau patagon.

Rio Gallegos n'est qu'à 25 kilomètres, et comme le vent pousse j'y arrive quasiment sans pédaler.

Paulo a l'air décidé à continuer. Es-tu vraiment sûr de vouloir aller au bout du monde ?


vendredi 13 décembre 2013

pistes atlantiques

Le retour sur la route 3 n'est pas une sinécure. Le vent de face ou de côté me fait avancer comme une tortue à 6 ou 7 km/h au minimum.

bivouac au bord de la route 3

route 3 : Sierra Grande
 
Le passage par la Sierra Grande n'arrange rien à l'affaire. Les faux-plats montants semblent interminables avec le vent contraire.
Je passe une nuit dans la sierra au milieu d'un ancien complexe touristique à l'abandon à l'abri d'un bosquet. Je comptais repartir à la nuit espérant une accalmie. Mais à 3h du matin les feuilles des arbres sont plus que jamais ballottées par les éléments. Inutile de reprendre la route aussi tôt.

Le matin, à mon grand regret, le vent n'a pas tourné. La journée s'annonce difficile. Les camions qui me croisent sans ralentir me faisant tanguer sur le bord de la route comme un grain de sable dans une tempête de désert se voient systématiquement attribués d'un épithète fleuri. Ça soulage.
A 15h je n'ai fait que 60 km et je suis rincé. Je m'arrête sur le bord de la route à peine dissimulé des voitures. Je dors le reste de l'après-midi, me lève pour manger, puis retourne me reposer jusqu'à 3h du matin.
Cette fois-ci le vent est tombé. A 4h je suis donc sur la route et profite du calme de la nuit pour enfin avancer tranquillement.
J'assiste au lever de soleil patagon sur le vélo.


Peu avant d'arriver à Puerto Madryn j'oblique à gauche vers la péninsule de Valdès. L'entrée est payante et le péage s'annonce après 25 km.
Après discussion avec un garde je décide de rebrousser chemin. Le bivouac y est interdit sur l'ensemble de la péninsule. On ne peut dormir qu'au village de Puerto Piramides. Les distances étant longues sur les pistes de gravier il me sera donc impossible de visiter l'ensemble à vélo.
Tant pis. J'irai observer des animaux marins ailleurs.

Je laisse cette énorme mygale traverser la route à ses risques et périls


et prend la piste côtière avec de superbes vues sur la mer. Les plages désertes se succèdent et je profite de l'une d'elles pour manger et me reposer de mon départ nocturne.


Puerto Madryn présente un visage industriel, avec cette immense usine d'aluminium qui fait face au port des containers. C'est aussi un important port de pêche.


Le front de mer se fait plus touristique avec ses plages qui ferment l'anse au sud de la ville.

De retour sur la route 3 je croise mon premier cyclotouriste depuis l'Uruguay. La route est devenue autoroute et un terre-plein central sableux me sépare de mon alter ego.
Je lui fait signe mais il semble ne pas me voir, absorbé par l'obstacle d'un long faux-plat montant.
Seule la photo me laissera une trace de ce cycliste dont je ne saurai rien de l'aventure.

Bientôt la descente s'amorce sur la vallée du Chubut.

 
Trelew est posée au nord du fleuve. Cette ville de plus de 100 000 âmes n'offre rien de particulier à voir. C'est une cité très argentine articulée en damier autour de sa place de l'Indépendance aménagée autour du kiosque du centenaire. Mais l'animation autour de ses rues commerçantes en fait toujours une distraction que j'apprécie après des kilomètres de lignes droites.

 Trelew : kiosque du centenaire

En suivant le fleuve j'arrive bientôt à la mer. Je plante la tente au bord de l'eau avec vue sur les éoliennes de Rawson.



Le petit port de pêche de Playa Union est animé ce matin avec le départ des chalutiers devant les yeux des surfers.





Je retourne sur mes pas pour récupérer à Rawson le départ de la route 1.



Là encore c'est une piste sans ravitaillement sur plus de 250 kilomètres. Paulo est à nouveau chargé d'eau et de victuailles.
J'enlève un peu d'air aux pneumatiques et pars en direction de Punta Tombo que j'atteins en soirée. J'installe le bivouac à 8km du site des manchots.
La nuit est tombée et quelques guanacos viennent faire les curieux. Je ne les vois pas mais entends leur sorte de ricanement caractéristique.

Tôt le lendemain je descends jusqu'à la mer avec le seul vélo en laissant le campement sous la surveillance des camélidés que je croise en nombre sur le bord de la piste.


Les Rangers dorment encore. Je profite donc seul du spectacle de cette immense colonie de manchots de Magellan dans leur habitat naturel.
Ils font un va-et-vient continuel entre l'océan et leurs nids qu'ils ont creusés dans cette sorte de lande pentue.
Les petits sont nés en novembre mais n'ont pas encore quitté leur nid.
La démarche et les mimiques de ces animaux de toute petite taille est un régal à observer.








Je remonte au campement avant l'arrivée des premiers visiteurs. Avant de refaire à l'envers les 15 kilomètres de piste, je change la chaîne qui a déjà cumulé 2000 km depuis Buenos Aires. Je vais essayer cette méthode vue sur les forums, avec deux chaînes que je change tous les 2000 km jusqu'à épuisement de la transmission.

Au croisement de la route 1 je tourne à gauche plein sud. La piste un peu venteuse qui serpente sur le plateau amorce bientôt la descente vers la mer.
J'évolue dans les paysages somptueux du Cabo Raso, avec ce décor très hollywoodien où je ne serais pas surpris de voir surgir au détour d'une colline un campement de Navajos.


A part quelques pick-up je suis seul sur la route. Les poteaux électriques ont disparu et les seuls signes de la présence humaine sont les clôtures, la piste et ses panneaux de signalisation.
Les pauses permettent de contempler le silence de cette immensité désertique en appréciant intérieurement la chance de pouvoir y vivre pendant quelques heures.

Le bivouac le soir au bord de la Bahia Vera vient terminer cette belle journée.


Le troisième jour je continue sur cette piste où bien loin de la route 3 et son lot incessant de véhicules je ne croiserai qu'une seule voiture sur 90 kilomètres.

Camarones, abritée au fond de la baie éponyme, est ma ville étape, située à mi-distance de Rawson et Comodoro Rivadavia. 


 
C'est un village tranquille où je croise au petit camping Andrea. Elle fait partie d'un voyage organisé allemand de plus d'un mois entre Buenos Aires et Santiago du Chili, mais semble s'y ennuyer fermement.
Après seulement trois jours, elle regrette presque déjà le rythme effréné des déplacements où les temps de visite ou de détente se réduisent à peau de chagrin.
Je noierai donc avec elle sa détresse euphorique et sympathique en partageant un litre de bière argentine. Réconfort tout germanique.


Camarones, avec son petit port, est le débouché pour l'exportation de la laine produite par les quelques estancias éparpillées autour de la route 1 que j'emprunte.
On y trouve aussi deux Français qui y vivent à l'année des produits de la pêche où de l'exploitation de la fleur de sel que les Argentins dédaignent à travailler.

J'y entends parler aussi d'un autre Français plus médiatique. C'est en effet en face, à une quinzaine de kilomètres seulement, que Flornt Pagny y a acheté une maison.
Il posséderait d'ailleurs toute la péninsule qui débouche au Cabo Dos Bahias sur une autre colonie de manchots de Magellan. Moi qui plaisantait il y a deux jours avec un manchot de Punta Tombo sur la possible présence du célèbre chanteur, j'étais loin de me douter que je trouverais sa trace sur cette avancée de terre dans l'océan à plus de 250 kilomètres de la ville la plus proche !
Il n'y vivrait plus paraît-il que quelques heures … par an. En tout cas une chose est certaine : je ne l'ai pas croisé en tongs sur la plage de Camarones.

Le camping de Camarones est un vrai camping, sans mobile-home, avec des coins cuisine et des barbecues, le tout pour un prix modique. J'y fait donc halte pour une journée entière.

Je repars reposé à l'assaut de la piste avec toujours de belles échappées sur la grande bleue, accompagné des nandous et guanacos



et cette réserve d'oiseaux à Bahia Bustamante.


Après cette estancia la piste devient plus difficile. Je dois parfois pousser la machine sur des portions de sable très épuisantes.
Les paysages sont malgré tout toujours enchanteurs.




Une seule voiture aujourd'hui, celle du pompier Navarro, qui me donnera trois litres d'eau, bien appréciés sur ce mauvais ripio bien éprouvant.

La route finit par l'ascension de la Sierra Salamanca pour rejoindre le bitume. Je m'arrête au pied du petit col à l'abri du vent et finirai la montée demain à la fraîche.
Un troupeau de moutons guidés par trois gauchos est conduit un peu plus haut dans la montagne et passe juste devant mon bivouac.


 
Demain je rejoins Comodoro Rivadavia par la route 3. Pas le choix. Ainsi s'achève cet itinéraire le long de la route 1.
Malgré des distances très longues entre les différents points d'intérêt, cela reste sans aucun doute la plus belle séquence cyclote de cette côte atlantique depuis Buenos Aires.