En
1520, Magellan traversait pour la première fois le détroit qui
porte aujourd'hui son nom. Il fut frappé par les feux qui sur la
côte brillaient jour et nuit : c'est ainsi qu'il baptisa cette
terre inconnue.
Sur
l'échelle de l'Humanité, ces terres australes furent peuplées
tardivement : les premiers Homo Sapiens arrivent en -11000 en
Terre de Feu et en -7000 seulement au delà du canal de Beagle.
Ces
hommes s'habituent peu à peu à vivre dans ces territoires hostiles,
au gré des changements climatiques. Trois peuples y coexistent lors
de l'arrivée des Européens : les Kaweskars, les Manekenks, et
les Yamanas.
Mais
ces tribus ne produisant aucun bien primaire n'intéressent pas les
marchands du vieux continent et sont donc laissées en paix.
Elles
poursuivent donc leurs vies nomades en vivant principalement de
produits de la mer (baleines, phoques, coquillages...). Leur canoë
est leur possession la plus importante. Un feu y brûle en
permanence, ainsi que dans leurs huttes sommaires qu'ils construisent
en une à deux heures quand ils restent à terre.
Comme
le bison pour les Indiens des Grandes Plaines, le guanaco constitue
pour ces tribus une base importante de nourriture et de matière
première pour la fabrication d'armes et d'outils.
En
me promenant dans le Parc national Tierra del Fuego, je n'ai pas de
mal à imaginer quel pût être leur mode de vie, au milieu de ces
lacs, fleuves, forêts, tourbières encerclés par des pics enneigés.
Cerro Guanaco (922m)
Les
Yamanas avaient la particularité de vivre nus. Le climat en
permanence humide ne leur permettait pas de faire sécher d'éventuels
vêtements. Ils se contentaient donc d'oindre leur corps de graisse
de phoque et supportaient ainsi le froid et la pluie toute l'année.
Mais
la tranquillité des Yamanas prit fin aux 18 et 19èmes
siècles avec l'épopée de la chasse à la baleine. Les Européens
finirent par prendre pied sur ces terres extrêmes, modifiant à
jamais le mode de vie de ses premiers habitants.
Le
combat fut inégal, et le destin des Yamanas vite scellé. De 2500
individus en 1860, il n'en reste plus que 300 en 1893. A partir de la
deuxième moitié du vingtième siècle ils ne sont déjà plus
nomades.
Maladies
européennes véhiculées par les chercheurs d'or, ou simplement
tueries expéditives, rayent quasiment de la carte un groupe d'hommes
qui avait perpétué le même mode de vie difficile depuis la nuit
des temps.
En
1882, le Romanche, bateau d'expédition scientifique français,
accoste dans la baie d'Orange à Hoste Island. Les photos que
prennent alors les chercheurs sont les seuls témoignages visuels
qu'il nous reste des Yamanas.
Le
mode de vie européen est désormais bien ancré en Terre de Feu.
Ushuaïa, loin des premières missions anglicanes, est devenue une
ville moderne et touristique.
Plus
aucune trace des Yamanas, si ce n'est quelques noms donnés aux lacs
ou aux montagnes.
Les
premiers explorateurs considéraient ces peuples comme des « fossiles
vivants », car prédominait l'idée que le développement
technologique était la base du progrès social et culturel et de la
perfection humaine.
Darwin
qui les aperçut en 1832 les décrivit comme des « créatures
abjectes et misérables » (sic). Georges Foster eut des termes
encore plus méprisants.
Mais
il y eut des humanistes pour reconnaître et diffuser leur culture
avant qu'elle ne périsse à jamais, comme Thomas Bridge qui étudia
leur langue et leurs coutumes, ou Martin Gusinde et Wilhem Kopper qui
dans les années 1920 mirent en avant des aspects plus profonds de
leur vie sociale et spirituelle.
« C'est
ainsi qu'un peuple entier a disparu de la surface de la terre
emportant pour toujours l'âme de la cordillère australe. Nous
n'avons presque aucune trace de son passage. Pas un cri, pas une
plainte, pas une larme. Seule la mémoire demeure d'une terre
ensemencée de rêves et maintenant éclaboussée de sang. »
(Hervé Haon)
Peut-être,
lorsque les vallées riantes enchâssées entre les pics enneigés de
l'île Navarino se couvrent d'un ciel sombre ; peut-être
lorsque le vent s'y engouffre avec une force sans limites ;
peut-être lorsque la neige et le froid y emprisonnent le randonneur
imprudent ; peut-être alors y perçoit-on une présence … la
colère des Indiens Yamanas.
A
quelques hectomètres de Puerto Williams, au village d'Ukika, vivent
les derniers descendants des Yamanas : quelques dizaines
d'individus métissés qui y vivent de chasse, de pêche ou du
tourisme.
C'est
là que Paulo me mène en cette journée de pluie, à l'Hostal de
Christian, qui vivait du pétrole à Punta Arenas, mais qui a décidé
de s'installer ici il y a deux ans pour s'inspirer du mode de vie de
ses voisins.
Je
dors une nuit chez lui, et il me donne l'autorisation de camper à
côté du centre culturel pour les deux dernières nuits.
Alors
que je rentre un après-midi dans l'Hostal pour récupérer une
partie de mes affaires, une femme âgée est assise à la table de la
cuisine en train de prendre le café avec la femme de Christian.
On
m'invite à m'asseoir à la table.
Sans
jamais l'avoir vue avant, je reconnais cette femme aussitôt, pour en
avoir entendu parlé au cours de mes dernières recherches sur les
Yamanas. Je suis tellement impressionné de la voir que je ne lui
pose aucune questions, qui sont pourtant légions à se bousculer
dans ma tête. Je l'écoute seulement parler avec sa voisine, du
mauvais temps, ou de ce randonneur qui a marché pendant des jours
avant de retrouver son chemin.
Elle
finit par prendre congé. Au dernier moment, elle se rend compte que
son portable est resté posé sur la table, et le remet sans
conviction dans sa poche, comme un objet du temps passé.
J'ai
de la peine à l'imaginer, et me pince pour voir si je ne l'ai
pas rêvé.
Je
viens juste de prendre le café avec Cristina Calderon, la dernière
survivante non métissée des Indiens Yamanas.
Pour cet article, l'essentiel des informations sur les Yamanas a été collecté aux musées d'Ushuaïa et de Puerto Williams, ce dernier étant assurément le plus complet et le plus moderne.
Pour cet article, l'essentiel des informations sur les Yamanas a été collecté aux musées d'Ushuaïa et de Puerto Williams, ce dernier étant assurément le plus complet et le plus moderne.
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