La
route 3 termine sa course à travers la Terre de Feu en apothéose,
par la traversée d'une partie du Parc National Tierra del Fuego.
Mais il existe une route encore plus australe. Il me faut franchir le canal de Beagle pour l'atteindre. Le zodiac contient facilement les sept passagers et les deux pilotes. Mais Paulo lesté de toutes ses sacoches constitue une charge anormalement lourde qui intrigue le fonctionnaire chargé de donner le feu vert pour le départ de la petite embarcation.
Non, non, pas de passager clandestin. Feu vert accordé donc.
Ça
secoue pas mal sur le zodiac. Le moteur est stoppé deux fois pour
ôter les algues, et la traversée prévue en 25 minutes en fera
45.
Arrivés à Puerto Navarino, le transfert via le poste de douane de Puerto Williams situé à 45 kilomètres se fait en van. Mais après chargement de tous les bagages, une chose est sûre, il ne reste plus de place pour Paulo.
J'essaie
de négocier sans conviction une arrivée à la douane sur ma
monture, en vain : tous les passagers doivent être enregistrés
en même temps.
Je
laisse donc Paulo à contre cœur sur le bord du canal ; un
pick-up assurera son transfert une heure après mon arrivée à Puerto
Williams.
La
capitale de l'île n'a pas les attraits d'Ushuaïa. C'est ce qui fait
son charme.
La
base navale fut fondée en 1953 pour peupler cette partie du Chili,
ultime bastion défensif face à l'Argentine. De la guerre ouverte ou
larvée que se livre ces deux pays d'Amérique du Sud, il reste
parfois quelques vestiges, comme cette armée obsolète pointée vers
la Terre de Feu.
Dans
cette bourgade de quelques 2000 habitants les petites maisons de bois
adossées aux montagnes se regroupent autour de quelques places
séparées par des routes de terre.
Quelques
chantiers en cours autour du port laissent envisager un développement
à venir des infrastructures. Autant profiter de ce lieu hors du
temps en face le canal de Beagle où quelques dizaines de touristes
seulement y débarquent chaque jour.
L'île
de Navarino est un concentré de nature sauvage. A l'office de
tourisme où je demande conseil pour une rando d'un jour, l'hôtesse
me donne bien deux ou trois pistes, mais elle préfère me prévenir :
ici, c'est la nature qui guide tes pas.
Je
pars à l'assaut de la montagne, mais après deux jours de pluie
continue dans la vallée je n'ai pas besoin de monter très haut pour
trouver de la neige. A moins de 600 mètres d'altitude le sentier
délimité par de simples cairns n'est bientôt plus visible.
Je
n'irai pas jusqu'au col et profite du premier rio qui plonge vers la
vallée pour court-circuiter la boucle qui manque cruellement de
repères. Le ruisseau devient cascade à deux reprises et le longer
s'apparente parfois à du canyoning sur terre avec quelques glissades
un peu fun.
Pas
fâché d'arriver le long du fleuve malgré quelques tourbières à
franchir où l'on s'enfonce jusqu'au mollets.
Avec
le mauvais temps je m'abrite souvent à la bibliothèque ou au musée,
qui disposent en plus d'une connexion internet.
Au
village yamana d'Ukika où je réside , situé au bord d'une rivière
à quelques centaines de mètres de Puerto Williams, Christian,
Andréa et le professeur de musique préparent la première « fiesta
de la Luna » qui se déroule dans la nuit de vendredi.
village Yamana d'Ukika
Centro cultural, à côté duquel j'ai campé deux jours
Je
donne un petit coup de main, entre planches à scier pour l'estrade
de l'orchestre, ou bois à collecter pour les deux ou trois foyers
qui vont brûler toute la nuit.
à droite, Christian, qui m'a ouvert les portes du village
Pour
une première la fête est plutôt réussie. Des habitants de Puerto
Williams ainsi que des touristes de passage s'y retrouvent autour de
quelques groupes de musique locaux, en consommant la soupe au vin
blanc, des empanadas ou des anticuchos (brochettes de légumes).
dernière collecte de bois avant la nuit ;
en bas la fête a déjà commencé autour des feux de camp
J'y
croise Benoît Marie, un jeune Nantais qui vient de remporter la
mini-transat. C'est une vraie pile électrique. Peut-être un nom à retenir pour les prochains Vendée Globe...
Il est ici en vacances et revient d'une promenade en
voilier autour des îles australes avec son parrain de métier,
Jean-Luc Van Den Heede lequel, malgré ses nombreux tours de monde,
n'avait jamais posé pied au Cap Horn ; c'est désormais chose
faite.
Un
autre marin amateur de glace, Philippe Poupon, semble aussi avoir ses
quartiers au Club nautique de Yates de Puerto Williams.
Le
lendemain, avant de prendre congé, le professeur de musique qui avec
quelques autres a veillé toute la nuit, me joue une petite chanson
d'adieu.
Il
me fera effacer quelques vidéos, car la fatigue aidant, il est peu
satisfait du résultat.
En
filmant, je fais machinalement un panoramique autour de ceux assis
autour du feu, dont Andréa et la femme et la fille de Christian,
ainsi que quelques villageois yamanas situés à ma gauche.
Très
vite, l'une d'entre eux réagit, en me disant qu'ils refusent de se
faire photographier.
chanson d'adieu (vidéo, 1')
Petite
bourde de ma part, que je corrige après la chanson en tendant à
celle qui s'est manifestée l'appareil et en lui demandant de prendre
les clichés suivants, ce qu'elle fera avec un sourire.
la nuit fut longue
Je
laisse dans la caisse du Centro Cultural une petite somme, en
remerciement de m'avoir permis de camper librement, et en espérant
que la petite association va grandir au fil du temps.
Chistian m'a dit que la langue yamana y était apprise par les habitants du village d'Ukika, afin que la culture de ce peuple ne soit pas complètement détruite ; Cristina Calderon reste la seule personne à pouvoir parler cette langue naturellement.
Chistian m'a dit que la langue yamana y était apprise par les habitants du village d'Ukika, afin que la culture de ce peuple ne soit pas complètement détruite ; Cristina Calderon reste la seule personne à pouvoir parler cette langue naturellement.
Dans
quelques heures je reprends le ferry pour le continent. Mon séjour
sur l'île Navarino a été trop court. Il faudrait y rester
plusieurs semaines pour pouvoir profiter longuement d'un tel endroit,
où chasse et pêche se pratiquent librement sans aucune
autorisation.
Avis
aux amateurs de grands espaces, certes un peu froids et pluvieux !
Le
trajet pour Punta Arenas dure trente heures. Les repas sont fournis,
et les horaires fixés à l'avance (8h – 12h – 18h) ne sont pas
sans me rappeler un autre voyage, un peu plus long.
Le
paysage est grandiose, avec les glaciers qui viennent mourir
directement dans la mer, et les otaries qui viennent jouer à
distance raisonnable.
Canal
de Beagle, puis détroit de Magellan : la navigation est plutôt
tranquille jusqu'au port d'arrivée. Le bateau a pris du retard
cependant au départ et ceux qui le veulent peuvent passer la nuit à
bord. Ça m'arrange plutôt, car il pleut, et en plus je n'ai pas de
logement d'assuré ce soir.
Je
profite donc d'une deuxième nuit au chaud, avant de retrouver demain
la terre ferme, le vélo, et bientôt le vent patagon qui j'en suis
sûr me fera la bise … bien que j'eusse préférer qu'il me fît la
brise !
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