La
route 40 part en faux-plat à l'assaut d'un col qui m'occupera
quasiment toute la journée. Contrairement à la route 3 qui comptait
les kilomètres du nord au sud, la 40 s'écoule du sud vers le nord.
Je démarre l'étape autour du kilomètre 1915, et vais ainsi à
chaque kilomètre remonter une année du 20ème siècle.
Les
années folles donc à El Bolson
Cette
belle cascade à midi, à l'époque du Front Populaire … ça sent
les vacances.
En
1974, il ne me reste plus grand chose à monter … je me sens
renaître
La
descente s'amorce dans les années 1990, et la nuit au bord d'un lac
se fait au début du 21ème siècle.
Je
gagne San Carlos de Bariloche le lendemain à midi. Cette ville
touristique vit surtout l'été de sa position au bord du lac Nahuel
Huapi, et l'hiver autour du Cerro Catedral et de ses pistes réputées.
Il
y a du monde malgré tout en cette journée d'automne, où la photo
souvenir aux côtés d'un Saint Bernard est assez courue sur la place
de la mairie.
Cerro Catedral
Je
repars aussitôt mangé car le temps est au soleil : le vent qui
me pousse jusqu'alors a chassé les nuages.
Petit
arrêt à la gare ferroviaire, assez rare en Amérique du Sud, où
l'unique train assure la liaison une fois par semaine avec Viedma, à
l'autre bout de la Région, où je suis passé en novembre dernier.
Je
quitte la ville dans le futur, en 2047, mais avec le vent d'ouest que
je récupère en pleine face en longeant la rive nord du lac, j'ai
bien l'impression de revenir aux pires heures des journées venteuses
de la route 3.
Le
bivouac après dix kilomètres à l'abri de ces quelques arbustes est
finalement le bienvenu.
J'opte
le lendemain matin pour un départ matinal. Mais Eole ne dort pas de
la nuit, et je reprends la route dans les mêmes conditions que la
veille. Peu à peu pourtant le vent finit par céder pour laisser la
place … à la pluie qui ne me lâchera pas pendant deux jours.
L'occasion
de faire une pause dans la petite station plutôt chic de Villa la
Angostura où le Cerro Bayo, avec son petit domaine skiable, attire
de nombreux Brésiliens l'hiver qui fuient la trop fréquentée
Bariloche.
architecture de pierre et de bois, typique de la région, pour cette petite chapelle également
chemin de croix très stylisé et intérieur très sobre
Quand
je reprends le vélo c'est pour partir à l'assaut de la « route
des sept lacs ». Il fait froid, soleil et sec : le temps
idéal pour un tel itinéraire.
J'en
termine d'abord avec la rive nord du Nahuel Huapi qui se montre
resplendissante sous le soleil.
Bain
de fraîcheur au lago Espejo avec une plongée vers une plage
verglacée.
Ce
sont les arbres qui ont blanchi pendant la nuit autour du lac
Correntoso.
Après
une bonne montée, puis un passage de 15 kilomètres sur une piste de
terre qui dans quelques mois n'existera plus, la route 40 plonge vers
le lago Villarino, dont la rive Est constitue le seul endroit de cet
itinéraire pour camper librement. Mais quel lieu incroyable.
Je
m'installe donc pour la nuit, en attendant le spectacle du soleil
couchant sur le lac.
à l'ouest le lago Villarino
à l'est le Cerro Buque
Mais c'est à l'Est que mon regard se
tourne bientôt. La lune s'élève lentement au dessus du Cerro Buque
alors que son étoile s'éteint peu à peu à l'Ouest. Un jeu de
lumière s'improvise alors au sommet de la montagne, qui en quelques
secondes seulement passe d'une couleur à l'autre, pour finalement se
figer dans un spectre blanchâtre tout hivernal.
Quand
le soleil se lève sur cette même montagne le lendemain, il a bien
du mal à percer le sortilège que lui a infligé la lune.
Le
trajet perd alors un peu de son éclat, même si le lago Machonico
lui donne une teinte plus automnale.
Il ne me reste plus
qu'alors à rejoindre le lago Lacar après une descente de 15
kilomètres toute en virages au terme de laquelle je finirai glacé,
un peu comme ce vieux lapin aveugle croisé plus haut, qui restait
prostré à un mètre de la route dans le vain espoir d'un rayon de
soleil pour le réchauffer ; j'ai d'ailleurs bien cru qu'il
était mort congelé !
San
Martin de los Andes, avec son architecture typique de montagne, au
pied du lac, est également une destination de vacances d'hiver très
prisée.
Une
longue descente en faux-plat me mène à Junin de los Andes, la
capitale nationale de la pêche à la mouche.
Son
église moderne luxueuse détonne avec ses vitraux représentant des
scènes de la vie des Amérindiens.
Mes
derniers tours de roue dans cette partie de l'Argentine se font
autour du volcan Lanin, dont le cône toujours blanc à la forme
parfaite est comme un phare guidant le cycliste vers la frontière.
Le
volcan est éteint ; la fumée n'est ici qu'un nuage
Tiens,
un voleur de chaussures
La
douane chilienne est ici très pointilleuse : toutes les
sacoches devront passer au détecteur de fruits.
Une
longue descente de 70 kilomètres qui serpente au milieu de
nombreuses sources thermales reconverties en cures de luxe me conduit
tout schuss à Pucon, au bord du lac Villarica, le dernier de ce
parcours.
Etonnante
succession d'étapes, qui n'ont eu cesse d'alterner entre villes
parfois très sélectes et lacs quasiment sauvages, le tout chapeauté
par un volcan culminant à plus de 3700 mètres.
Je ne rencontre plus de cyclistes depuis mon samouraï de Puerto Montt, mais beaucoup de motards, dont la moitié descendent encore vers le sud et le froid, comme le Brésilien Marco croisé au pied du Lanin.
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