et ce VTT aux
roues de 28 pouces acheté à la Paz et affublé de sacoches
bricolées à la hâte
il y a un gouffre.
A Cochrane je laisse
filer vers le sud ce trio avec qui j'ai assisté au rodéo de la
veille. Départ prévu à l'aube … il est 10h45. Pas trop mal. Le
solde petit-dèj concocté par l'Allemand à gauche a mis le team un
peu en retard. Mais bon, il paraît que c'est comme ça tous les
matins !
Quelques kilomètres
seulement après avoir quitté la ville, ma chaîne casse. Ce n'est
que la quatrième fois depuis Villa O'Higgins. La pluie des premiers
jours a nettoyé la chaîne en profondeur et mon stock d'huile y est
passé. Je l'ai renouvelé à Cochrane, mais quant à trouver un
nouveau galet pour le dérailleur, autant chercher un bosquet de
calafate en plein milieu d'un glacier andin.
Car c'est bien le galet
inférieur l'objet de mes soucis. Il semble vouloir vivre son voyage
de son côté, et je le soupçonne d'envoyer chaque maillon
récalcitrant frotter la patte du dérailleur, provoquant à la
longue le déplacement du rivet.
Ma hantise est qu'au
milieu d'une côte plus difficile le galet se mue soudain en voix de
Laurence Boccolini et se mette à crier de façon péremptoire :
« Vous êtes le
maillon faible … AU REVOIR ! »
Après remise de la
chaîne, je la badigeonne de 3 en 1, ce qui semble calmer les
velléités d'indépendance de mon galet rebelle. En espérant que
ses idées révolutionnaires ne se propagent pas à toute la
machinerie.
Je remonte le cours du
Baker, où les panneaux invitant à manifester contre la construction
de plusieurs barrages hydroélectriques semblent pour l'instant
bloquer le début des travaux. Jusqu'à quand ?
A la confluence avec le
Neff les eaux turquoise du fleuve blanchissent soudainement à cause
des sédiments glaciaires transportés par la rivière depuis le
Campo de Hielo Norte.
Le spectacle facilement
accessible depuis la route est splendide.
eau turquoise avant la confluence
eau laiteuse après
au sommet du fleuve, le Campo de Hielo (glacier)
Au Lago Bertrand je
quitte provisoirement la carretera australe et m'engage sur la route
265 à destination de Chile Chico.
Lago Bertrand
Lago General Carrera
route 265
Cet itinéraire, peu utilisé par
les cyclistes à cause des nombreuses pentes, longe la rive sud du
lac General Carrera, le plus grand lac d'Amérique du Sud après le
Titicaca.
On m'avait annoncé une
piste de très mauvaise qualité, mais hormis 25 kilomètres environ
de tôle et de gravier, le revêtement est plutôt roulant.
Difficile de trouver
mieux en matière de cyclotourisme. Chaque côte apporte un regard
différent sur ce lac aux eaux transparentes cerné par des roches
aux couleurs changeantes.
Il y a quelque chose de
méditerranéen dans ces étapes de rêve baignées par le soleil et
une petite brise d'été, quelque chose de la côte croate avec ses
myriades de petites îles qui affleurent à la surface de l'onde.
Ma monture relève plus
de la placidité de Rantanplan que de la fougue de Jolly Jumper. Je
suis en mode rodéo extra lent. 15 kilomètres le premier soir, 28
kilomètres le deuxième jour, 55 le troisième, puis 25 le dernier
matin : les 123 kilomètres sont avalés à la vitesse de
l'escargot, ce qui me permet de profiter pleinement des opportunités
de bivouac qui se présentent toujours à point nommé. Et quand la
dernière nuit se passe avec une vue plongeante sur la Laguna Verde,
le souvenir du lac Carrera restera à jamais gravé dans ma mémoire
pour les étapes qui s'annonceront moins exaltantes.
dernier regard en arrière avant de redescendre
Laguna Verde...
La route 265 finit par
plonger en douceur sur la petite ville de Chile Chico ; cette
plate oasis de verdure détonne après les derniers jours de
crapahute. La tranquillité de ses rives en fait un endroit idéal
pour le farniente.
Comme souvent en Amérique
du sud, le pique-nique en ville se fait sous la surveillance d'un ou
plusieurs chiens errants, qui guettent avec attention la moindre
miette perdue. Celui-ci fut sage : sa patience sera récompensée
par un peu de pain tartiné de confiture de lait, ce qui suffira à
le combler.
En
fin d'après-midi je traverse la frontière et m'installe pour un
jour et demi dans la ville argentine de Los Antiguos. C'est quasiment
la ville jumelle de Chile Chico. Je ne traverse pas la frontière
juste pour voir si la bière est meilleure, mais parce que ce petit
bout d'Argentine mérite le détour.
C'est
la ville des chacras : quasiment chaque maison possède un
verger et les petites boutiques d'artisanat ont leurs étagères qui
débordent de confitures, de liqueurs ou autres gourmandises. J'y ai
même vu de la viande de guanaco en bocaux, mais je n'ai pas été
très aventureux : Los Antiguos est la ville de la cereza, alors
pour ma part ce sera confiture de cerises.
Je
reste un jour de plus dans cette petite localité de villégiature
tranquille où il est bon de se reposer à la terrasse d'un café, ou
prendre le frais le long du petit remblai qui longe le lac Buenos
Aires, qui est l'extrémité argentine du lac General Carrera.
Je
prends le vélo pour aller faire mes courses en me croyant presque
dans une station balnéaire vendéenne.
Mais
le repos prend fin dès le lundi avec la route du Monte Forestal
Zebalos qui longe la frontière chilienne.
Les
60 premiers kilomètres d'ascension se font au rythme lent du ripio
de qualité très moyenne qui oblige à dégonfler les pneus et à
faire participer une bonne partie de l'organisme : les jambes
qui assurent le train ; les bras qui corrigent sans arrêt la
position du guidon qui tangue sans cesse à droite ou à gauche sur
cette piste glissante ; et la tête qui coordonne le tout.
Peu
de place à la rêverie ; le premier bivouac se fait le long de
l'arroyo Lincoln à seulement 850 mètres d'altitude. Je m'endors
sans mal avec en mémoire ces paysages de canyons dignes du Far-West
américain.
Le
jour suivant commence réellement l'ascension du col « El
Portezuelo » situé à 1490 mètres.
Forêts
de lengas et de ñires,
chutes d'eau, lacs, formations rocheuses étranges appelées
cucuruchos (chapeaux coniques), défilent lentement sous mes yeux
avant que n'apparaisse la silhouette caractéristique du Monte
Zeballos culminant à 2748 mètres d'altitude.
cucurucho
Monte Zeballos (2748 m)
Après
la bascule le paysage garde toute sa splendeur ; j'ai la
fabuleuse impression de serpenter an plein milieu d'un décor en
technicolor d'un studio hollywoodien d'un film de John Ford.
...ou
bien c'est le soleil qui commence à frapper un peu fort. Il est
temps de s'arrêter dormir en plantant la tente à l'abri d'un gros
caillou de ce désert qui n'émet d'autre bruit que l'inlassable
course du vent.
Le
lendemain, en longeant le lago Ghio, je jette un dernier coup d’œil
sur cette piste difficile qui m'aura enchanté pendant deux jours et
demi.
Guanacos,
lièvres, renards ou nandous me rappellent que je plonge peu à peu
vers le plateau patagon.
La
piste débouche sur la route 40 ; je retrouve l'asphalte que je
n'avais pas arpenté depuis El Chaltén (hormis dans les villes). Pas
pour longtemps. Un nouveau ripio toujours aussi peu conciliant me
mène après 45 kilomètres à l'entrée du site archéologique de
« La Cueva de las Manos ».
Là,
dans les anfractuosités de la roche qui surplombe un canyon, ont été
peintes avec la technique du pochoir plus de 800 mains, pour la
plupart de femmes et d'enfants, avec des teintes ocre, rouge,
violette et jaune, en plus du noir et blanc.
Les
plus anciennes datent de -9300 ans, et les plus récentes de -1300
ans. Elles ont été faites par les premiers habitants des lieux, des
peuples de chasseurs-cueilleurs qui se réfugiaient l'hiver dans le
canyon, à l'abri des vents violents et du froid. Disposant de
nourriture et d'eau à volonté, ils ont su se libérer du temps pour
s'adonner à l'expression artistique qui a évolué au fil des
siècles.
Un
témoignage du temps passé sans doute provisoire, car les peintures
exposées à l'air libre sont à l'avenir condamnées à disparaître.
Mais il nous reste encore du temps pour venir les admirer...
scène de chasse : guanaco
au centre, empreinte d'un nandou
Le
site vaut autant le déplacement pour les mains peintes que pour le
canyon que le Rio Pinturas a façonné au cours des millénaires.
Après
cette pause dépaysante je reprends la piste en sens inverse pendant
15 kilomètres, et oblique à droite vers un raccourci qui mène à
la route 40.
En
fait de raccourci il s'agit d'une descente vertigineuse de 6
kilomètres au fond du canyon suivie d'une montée aussi longue et
aussi sèche. Le ripio n'est pas mauvais ; il est juste
abominable. Le vent se mêle à la fête du gravier sablonneux qui
rendent la montée sur le vélo impossible. Trois côtes des plus
sévères se font donc en poussant la machine, exercice d'autant plus
usant que les semelles ne cessent de déraper. Le calvaire est
d'autant plus éprouvant que les ingénieurs des Ponts et Chaussées
sud-américains s'embarrassent rarement de montées en lacets :
la route est taillée à même la pente, et mieux vaut ne pas savoir
quel en est le pourcentage !
en bas du canyon, la 1ère côte, sur le vélo ... jusqu'au 1er virage
Finalement
pas fâché de retrouver le bitume ; la route 40 me conduit
pendant 90 kilomètres à l'oasis de Perito Moreno où je me pose le
temps du week-end. A part sa petite église rose la ville ne propose
rien de bien alléchant, mais m'y reposer pendant un jour et demi
n'est pas du luxe.
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