La
nuit fut orageuse, et une petite pluie m'accompagne pour quitter les
rues de Bahia Blanca.
Je
m'arrête chez Joel avant de quitter la ville pour acheter un morceau
de salami ; je repartirai en plus avec offerts un pain entier et
des biscuits, ainsi que de nombreux conseils sur ce qu'il faut que je
vois absolument en Argentine. Joel tient encore sa boutique à 80 ans
et est toujours plein d'enthousiasme.
Je
retrouve la route 3 vers le sud et son lot de camions.
Avant
d'entrer en Patagonie je dois subir un contrôle phytosanitaire. Je
m'y attendais pour l'entrée au Chili mais pas en Argentine. La
région est reconnue internationalement pour son absence de fièvre
aphteuse ; l'Etat y interdit donc les produits susceptibles
d'être porteur du virus.
C'est
Rocky qui se charge de détecter la sacoche porteuse des fruits
délictueux. Les tomates passeront en Patagonie, mais je dois
m'avaler trois pommes et deux pomelos avant de poursuivre ma route.
Tant pis, j'anticipe mon repas de midi.
Sur
le bord de la route de minuscules grenouilles essaient de traverser
en sautant entre les roues tueuses ; peu en réchappent.
A
midi, c'est un gros chat sauvage que j'observerai de loin en train
chasser les oiseaux.
Je
rencontre aussi mon premier camping-car. Christa et Volker sont
allemands. Quand ils m'ont dépassé Christa était persuadée que
j'étais suisse ou allemand, en pensant que seuls ces deux pays
pouvaient contenir des gens assez fous pour faire du vélo dans de
tels endroits.
Je
lui confirme que les Français ne sont pas loin du podium !
Le
camping-car est venu en cargo depuis Hambourg, mais eux ont fait la
traversée de l'Atlantique en avion.
Ils
ont été bien contents de retrouver leur véhicule intact, et se
lancent dans une aventure de plus de 8 mois sur tout le continent
américain, d'Ushuaïa à Los Angeles.
Peu
de chance que je les rattrape.
Un
panneau indique une descente dangereuse. A peine 3 % : de qui se
moque-t-on ? Mais il est vrai que sur des routes totalement
plates la moindre pente peut surprendre.
La
remontée est aussi signalée. Paulo hésite, puis finalement se
lance.
Je
subis un nouveau contrôle à Pedro Luro, ville centenaire fondée
par des immigrants hongrois, espagnols, allemands et français ;
mais cette fois-ci les fruits achetés le jour même auront le droit
de passage. Je doute un peu de l'efficacité de ces contrôles.
En
franchissant le rio Colorado, j'entre officiellement en Patagonie.
ainsi
que le vent, mais qui est pour l'instant d'une force raisonnable
De
nombreux petits ex-voto jalonnent le bord de la route ; ils
prennent parfois des dimensions plus importantes, comme c'est hommage
rendu au Gaucho Gil, avec des offrandes parfois étonnantes, comme
des phares ou des pneus de bagnole.
Carmen
de Patagones est la dernière ville de la province de Buenos Aires,
et est séparée de sa voisine Viedma par le Rio Negro.
Elle
fut fondée en 1779. Ses petites rues du centre ne manquent pas de
charme : parfois très pentues, elles mènent à la place de la
cathédrale où se tient une petite commémoration.
De
l'autre côté du fleuve, Viedma, la ville basse, a perdu nombre de
ses monuments historiques depuis la grande inondation de
1899.
L'animation se trouve autour des plazzas San Martin, avec la Casa de Gobierno, et Aslina, avec l'imposante cathédrale de 1912.
L'animation se trouve autour des plazzas San Martin, avec la Casa de Gobierno, et Aslina, avec l'imposante cathédrale de 1912.
La
statue du fondateur (Francisco de Viedma y Narvaez) de la forteresse
de 1779 domine le rio Negro.
Dans
quinze jours les premiers vacanciers vont arriver et les activités
nautiques et balnéaires vont pouvoir démarrer autour de la rive
droite du fleuve complètement aménagée, avec pelouses et voies
pédestres.
Je
file quant à moi à El Condor, petit village balnéaire situé à 30
kilomètres.
Faro de la Barra del Rio Negro (1887)
Un panneau touristique annonce la présence de la
plus grande colonie de perroquets au monde.
J'arrive
à la période de l'éclosion des œufs. L'agitation bat son comble
sur la falaise où les parents assurent la sécurité des œufs
cachés dans des niches naturelles.
Que
des prédateurs planent au dessus de la falaise et c'est toute la
colonie qui se met en ordre de vol pour protéger les couvées.
La
route 3 est suffisamment monotone pour que je profite du spectacle
pendant une journée entière. Ça me permet de récupérer en prime
d'un mauvais rhume contracté depuis mon entrée en Patagonie suite à
une chute brutale d'au moins 20° des températures.
Au
petit camping qui fait face à la mer je rencontre une famille de Montélimar partie
pour un voyage de 10 mois autour du monde. Après l'Australie et l'Asie,
l'Amérique du sud et au programme, puis l'Afrique si tout va bien.
Je
ne me suis pas levé assez tôt le jour de leur départ pour prendre
la photo de leur Toyota 4/4 équipé d'une galerie sur laquelle se
déplient les deux tentes dans lesquelles ils passent leurs nuits.
Mais
on peut en voir plus sur leur site :
chacunsoncontinent.wordpress.com
Ce
matin les sacoches sont chargées à bloc : 11 litres d'eau et
de quoi manger pour trois jours. C'est que la route 1 qui longe la
côte et que je compte emprunter est sans ravitaillement pendant 180
kilomètres, m'a t-on dit à l'office de tourisme de Viedma. Je
n'avais pas prévu cet itinéraire à la base, mais la route 3 ne
m'emballe vraiment pas.
Les
trente premiers kilomètres sont bitumés jusqu'à la réserve des
lions de mer de Punta Bermeja.
les perroquets se réchauffent ce matin
Le
belvédère est en restauration mais les deux barrières ne sont pas
très dissuasives.
Les
site est désert. Je profite donc seul de la vue imprenable sur cette
colonie de lions de mer composée de 6000 individus en été.
C'est
amusant de les voir se déplacer de façon pataude sur le sable. Ils
sembleraient presque vulnérables, mais les mâles longs de 2m60
pèsent jusqu'à 350 kg.
La
route devient piste, et malgré des passages très ensablés où je
dois pousser Paulo elle s'avère moins difficile que ce que j'avais
imaginé. Le vent d'est me pousse. Je profite donc tranquillement de
cette itinéraire quasiment sans voitures. Même si la mer se dérobe
souvent à ma vue, je ne suis pas en reste avec la faune terrestre :
cailles, nandous, lièvres et renards me coupent parfois la route.
Tiens, il faudra que je pense à planquer mes chaussures cette nuit.
Bahia Rosas
Golfo San Matias
Bahia
Creek, à mi-parcours, s'avère être un vrai petit village. Les
moulins à vent puisent l'eau des nappes phréatiques ;
finalement il y avait de quoi se ravitailler. Au moins en eau.
La
deuxième étape démarre plutôt mal. A peine sorti du village et le
pneu arrière se dégonfle. Obligé de défaire toute la bagagerie
que je viens juste d'installer. Rageant. Et tout ça pour une
minuscule épine.
La
suite n'est guère plus enthousiaste. La piste de gravier qui longe
la plage de Bahia Creek s'avère très sableuse, et se poursuit dans
les dunes de la même façon pendant plusieurs kilomètres.
Bahia Creek
les dunes, donnant un air de désert...
...avec les dromadaires locaux
Pas
le choix, je suis obligé de dégonfler les pneumatiques si je ne
veux pas passer la journée à pousser Paulo.
J'avance
lentement, un peu en zigzag, mais j'avance.
L'après-midi
la piste prend du relief et le revêtement s'améliore. La journée
se finit mieux qu'elle n'a commencée, avec un superbe bivouac
dominant la mer et le Golfe de San Matias. Le tout un 30 novembre ;
que demander de mieux ?
Puis
je contourne la baie de San Antonio jusqu'à la charmante petite
station balnéaire de Las Grutas.
Les
plages sont déjà bondées ce week-end même si la saison ne
commence que dans 15 jours.
Des
airs de vacances pour terminer cet épisode côtier avant de
reprendre à contre cœur demain la route 3 : exceptionnellement
le mois de novembre 2013 se prolongera pour moi jusqu'au 31.
Au
camping de Grutas un camion vient s'installer à côté de mon
emplacement. Plaque française. Département 56.
Rachel
et Patrice ont fait aménager leur cabine sur le châssis du
véhicule. C'est leur nouvelle maison.
28
jours de traversée en cargo et un départ depuis Montevideo, avec un
grand tour de l'Amérique du sud au programme sans durée de fixée.
Un autre grand voyage se profile à l'horizon.
(www.sansdestinationfixe.blogspot.com)
(www.sansdestinationfixe.blogspot.com)
Les
cyclistes s'avèrent être rares sur ce côté de l'Amérique. On me
demande souvent si je suis celui qui est passé à la télévision.
Je sais qu'il y a au moins un autre que moi à descendre vers le
sud ; mais les chances de le croiser risquent d'être assez
faibles.
Je
quitte Las Grutas à 13h. Rachel et Patrice sont partis depuis déjà
1 heure. Après 10 km j'oblique vers le sud par la route 3. Le vent
aussi vient du sud et j'en prends plein le vélo.
Un
camion me dépasse soudain à petite vitesse, puis s'arrête sur le
bas -côté. Surprise. Ce sont mes Bretons, qui ont pris le temps de
visiter Las Grutas avant de reprendre la route. Ils devaient
rejoindre ce soir la péninsule de Valdès, mais les circonstances
ont changé, et ils s'arrêteront plus tôt ce soir.
Belle
philosophie du voyage dont m'a parlé Patrice hier, où rien n'est
jamais défini à l'avance, et où l'itinéraire se reconstruit jour
après jour.
Dernier
au revoir, mais qui sait, peut-être nos routes vont-elles se croiser
à nouveau ?
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