En prenant la route de la corniche qui surplombe le Var je m’engage dans un
itinéraire bien dissemblable de celui de la côte, déjà bien peuplé en cette fin
d’hiver.
Après une bonne nuit d’orage les rivières se sont mues en torrents ;
La Cagne |
Vence |
le soleil reprend vite le dessus et comme c’est le week-end cette petite
départementale qui contourne les Gorges du Loup et monte à l’assaut du joli
village médiéval de Gourdon vomit sans arrêts dans mon rétroviseur des
véhicules un poil pressés.
Tourrettes-sur-Loup |
gorges du Loup |
Gourdon |
C’est plus calme à Grasse, ville du parfum, et ça devient Byzance à partir
du lac de Saint-Cassien.
Les villages aux rues vides de Seillans et Bargemon prennent alors un
charme suranné.
Seillans ; vue sur l'Esterel |
Bargemon |
Et au dessus le col de Bel-Homme me pousse sur le plateau désert de
Canjuers, immense « terrain de jeu » des militaires.
col de Bel-Homme |
Je perds de vue la côte et mon champ visuel s’élargit aux pics enneigés des
Alpes de Haute-Provence.
plateau de Canjuers |
Le spectacle devient splendide avec le survol du Grand Canyon du Verdon où
le mince filet d’eau que j’aperçois épisodiquement me donne les ailes du
condor ; dans mes rêves seulement car de sèches montées me collent au
bitume.
La récompense est la descente vers le lac de Sainte-Croix au bleu plus pur
que le ciel.
village de Moustiers-Ste-Marie... |
Bien plus haut, la route qui s’élève à plus de 1300 mètres au col de
Font-Belle m’appartient ; c’est la « route du temps » ainsi
nommée en hommage au philosophe humaniste Pierre Gassendi, qui a dit quelque
chose comme « nulle substance, nul accident n’existe auquel il
n’appartienne d’être quelque part ou dans quelque lieu ; ou d’être à
quelque moment ou dans un certain temps et de telle sorte que même si telle
substance ou tel accident disparaissait, le lieu n’en continuerait pas moins de
demeurer et le temps de s’écouler… ». J’ai pour moi le temps de la crapahute
pour disserter sur le sujet.
Thoard ; en montant vers le col |
panorama depuis le col d'Hysope |
col de Font-Belle |
de l'autre côté du col, Sisteron... |
...au pied de la Citadelle Vauban |
Digne-les-Bains est une préfecture tranquille.
J’y croise Mathieu qui
m’interpelle ; il part bientôt pour un voyage solidaire au Maroc d’une
vingtaine de jours avec ses sacoches remplies d’accessoires vélo qu’il compte
donner au fil de ses rencontres. Comme il n’a pas pu tout caser il me fait
cadeau de deux pneus quasiment neufs … je prends !
En franchissant un pont sur la Bléone dédié à Alexandra David-Néel,
j’apprends que la célèbre exploratrice a vécu ses dix dernières années à Digne
dans une villa achetée trente ans plus tôt.
Je file donc vers « Samten dzong » (c’est ainsi qu’elle avait
rebaptisé sa demeure) devenue depuis un musée à l’initiative de Marie-Madeleine
Peyronnet.
Samten dzong |
Agée de 29 ans, Marie-Madeleine rencontre Alexandra David-Néel pour la
première fois à Aix-en-Provence en 1959. En devenant la secrétaire de cette
nonagénaire, elle ne se doute pas un instant signer pour un CDD de dix ans. Si
elle avait su… Car la célèbre exploratrice – la première occidentale à être entrée
en 1924 à Lhassa dans un Tibet complètement hermétique (cf « Voyage d’une
Parisienne à Lhassa ») – lui mènera la vie dure. N’étant quasiment plus
capable de marcher, sa capacité intellectuelle restera intacte jusqu’à l’aune
de ses 101 ans.
Un couple improbable se forme alors, entre cette jeune Pied-noir novice en
littérature et cette aventurière âgée bien décidée à employer le reste de son
temps à écrire, et qui demande parfois l’impossible à sa secrétaire, comme lui
imposer des recherches dans des livres écrits en tibétain et en sanscrit.
Marie-Madeleine supporte la tyrannie de sa patronne jusqu’au bout, jusqu’au
jour où les coups de sonnette intempestifs d’Alexandra ne résonnent plus dans
Samten dzong, à partir du funeste lundi 8 septembre 1969 ; Marie-Madeleine
se rend compte alors, mais elle le savait déjà, avoir vécu les dix plus fortes
années de sa vie auprès d’un être extraordinaire.
« à l’âge où les adolescentes rêvent de Prince charmant, moi, je
voulais rencontrer une « intelligence ». Peu m’importe de la trouver
chez un homme ou une femme ! … Cette « chose » si rare, si
exceptionnelle, n’a ni sexe ni âge. Je venais de la découvrir. C’est bien là,
la seule réussite de mon existence et réalisée, je dois le dire, bien au-delà
de mes espérances … »
« Dix ans avec Alexandra David-Néel », de Marie-Madeleine
Peyronnet
(lire aussi « Les itinéraires d’Alexandra-David-Néel », de Joëlle
Désiré-Marchand)
Quelques jours plus tard, en m’arrêtant pour le casse-croûte au monastère
de Notre-Dame de Lure (dont il ne reste plus que l’église), une forte averse de
grêle m’oblige à entrer dans le refuge attenant à la maison du gardien Lucien.
J’allume un bon feu de cheminée pour me réchauffer, et quand je sors la
grêle changée en neige a transformé le paysage en moins d’une heure …
splendide !
moins d'une heure séparent ces deux photos de l'abbaye de Lure
Le lendemain, je pars randonner jusqu’au Signal de Lure, en laissant mes
affaires à la garde de Lucien, dans un décor magnifique où je suis parfois le
premier à fouler le sentier tout blanc.
quelques traces d'animaux nocturnes |
au loin le Ventoux, au pic toujours enneigé |
vue de Sisteron et la route nord du massif de Lure |
Signal de Lure (1826 mètres) |
retour au refuge par le même chemin |
Je passe une seconde nuit au refuge, après avoir effectué une nouvelle
« corvée » de bois.
Depuis ma petite lucarne je regarde peu à peu la
nuit envelopper les noyers massifs trônant majestueusement sur le parvis
végétal de la petite église, et termine la lecture du témoignage émouvant de
Marie-Madeleine Peyronnet, en essayant de saisir dans ce lieu isolé au milieu
de la forêt, sinon un petit bout d’âme, au moins une empreinte … d’Alexandra
David-Néel.
Forcalquier, au pied du massif de Lure |
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