On ne pourrait pas imaginer Bayeux sans sa cathédrale. L’œuvre de pierre
colossale annonce sa silhouette caractéristique depuis les petites
départementales du Bessin bien avant qu’elles ne convergent vers la capitale.
Le site était occupé bien plus tôt par la tribu gauloise des Bajocasses.
Les druides y encensaient Belenos, le dieu du Soleil, sur le Mont Phaunus, par
Toutatis !
Lorsque Odon, demi-frère évêque de Guillaume le Conquérant, décide la
construction d’un premier sanctuaire consacré en 1078, il y a longtemps que les
premiers évangélisateurs ont christianisé la région.
Du premier étage de la nef et de la crypte romane du 11ème
siècle, jusqu’à la croix posée sur l’octogone supérieur de la tour centrale en
1981, le vaisseau a pris son temps pour nous restituer sa forme actuelle.
Le visiteur de passage à Bayeux ne peut qu’imiter Théophile Gautier :
« résister à une cathédrale est au-dessus de nos forces, et nous passâmes
la journée à examiner celle-ci ».
Gustave Flaubert en fit une description télégraphique : « Crypte
curieuse ; piliers romans trapus ; restes de fresques, anges
musiciens jouant plusieurs instruments. Un Saint-Joseph statuette de bois qui
ressemble à un Bouddha japonais ; n’a pas de menton ».
Edouard Herriot est moins conquis : « cette crypte est même
préromane. Ses voûtes tombent lourdement sur les colonnes ; l’artisan de
ce temps ne sait même pas sculpter l’acanthe ; il se contente de sommaires
godrons ». Il continue fraîchement : « le dôme parait sans
valeur comme sans raison. Il gâte, il écrase la belle enveloppe du chœur, le
pur dessin de l’abside flanqué de légères tourelles à clochetons ». Mais
il finit par une note plus élogieuse, sans pouvoir s’empêcher néanmoins de
dénigrer ses contemporains ! « L’art du 13ème siècle, par l’habileté
avec laquelle il a complété les tours, donne une sévère leçon à quelques
goujats savants de notre âge ».
Autour de la cathédrale le vieux centre médiéval incite au travers de ses
ruelles tortueuses à la découverte du patrimoine bâti : hôtels
particuliers ou maisons-tours.
rue de la Maitrise |
maison-tour |
La ville de Guillaume aurait pu devenir capitale de région, mais Saint
Louis lui ôte sa primauté de juridiction au profit de Caen, et la fige pour
toujours dans son statut actuel de sous-préfecture.
Mais capitale du Bessin, c’est déjà bien. C’est dans cette « vaste
prairie laitière frangée de falaises friables que Bayeux a puisé ses ressources
et sa raison d’être ».
Par la rade de l’actuelle Port-en-Bessin les Vikings envahirent la région.
Ils n’eurent qu’à remonter le cours de l’Aure, petit fleuve côtier qui a la
particularité de disparaître pendant deux kilomètres sous le calcaire avant de
jaillir directement dans la mer.
Port-en-Bessin |
Cette région essentiellement tournée vers l’agriculture s’articule autour
de « fermes carrées, vastes comme des cloîtres, aux granges hautes comme
des nefs, fermées sur leur cour où l’on pénètre encore par une large arche dont
un quadrilatère imperméable aux vents est dressé contre les coupe-jarrets dont
l’isolement encourageait les œuvres ». (Jean-Yves Ruaux in « Bayeux et le
Bessin »)
ferme normande |
On y trouve également de nombreux châteaux, dont le plus remarquable est peut-être
celui de Balleroy, œuvre de François Mansart.
Il fut racheté en 1970 par l’éditeur américain Malcolm Forbes et appartient
toujours à sa famille. Un de ses fils, féru d’histoire européenne du 19ème
siècle, y a dédié la décoration d’une des chambres d’apparat à Napoléon.
Le Prince Charles himself en visite dans la région y a dormi. Le tableau
représentant Waterloo lui a sans doute beaucoup plu. Mais on s’est bien gardé
de lui dire que le grand portrait de Napoléon ayant le pied sur un fauve
représentait la domination de l’Empereur sur l’Albion : le futur ( ?)
roi d’Angleterre s’est reposé toute une nuit sous un tableau représentant la victoire
posthume du plus célèbre des Corses sur son ennemi intime … shocking !
A part quelques carrières, l’industrie est reléguée au passé, à l’image de
la mine de charbon de Littry, dont le minerai extrait était utilisé pour la
fabrication de la chaux vive utilisée dans l’amendement des terres agricoles,
et qui fut d’un intérêt évident dans cette région propice à la culture.
En quittant le Calvados par Isigny, où l’immense usine transformant le lait
ne fait aucun doute sur la vocation agricole du département, une incursion dans
la Manche dévoile l’existence d’une activité industrielle plus récente.
Port-Bail |
sur le plateau de Jobourg, le centre industriel de La Hague |
Passé Port-Bail et les plages du Cotentin qui incitent à la baignade,
Flamanville dont le nom assure à lui seul la légende, retient le voyageur.
Car avant de devenir l’un des fleurons du nucléaire français il y eut à
partir de 1856 sur ce rivage escarpé l’épopée extravagante de la mine de fer de
Diélette.
Situés à quelques encablures des côtes les gisements accaparèrent les
esprits pour, grande première à l’époque, tenter d’exploiter des veines
sous-marines. Malgré l’ingénierie mise en place le continuel envahissement des
galeries par l’eau de mer contribua aux échecs successifs de l’entreprise,
jusqu’à l’arrivée de l’Allemand Tyssen qui finit par la rendre rentable.
Comme dans le Nord les gueules noires marquèrent de leur empreinte ce bout
de Manche, et le coron de la Cité Sainte-Barbe vit le jour. La vie des mineurs s’accommoda
de la méfiance des paysans jusqu’à la fermeture définitive du site en 1962.
« Notre coup de grisou, à nous, c’était la poche d’eau qu’on libérait
d’un coup et qui pouvait nous noyer. C’est arrivé plus d’une fois. Et dans ce
cas-là, il fallait vite foutre le camp et refermer la porte de serrement
derrière nous » (in « Flamanville, tranches de vie » de Lise
Gavet et Stéphane Jiolle)
Plus tard, lorsque l’ingénieur chargé de la construction de la centrale
nucléaire sur le site même de l’ancienne mine décida d’inviter les survivants à
retrouver pour une dernière fois leur vie passée, il ne s’attendait pas à leur
réaction ; aucun ne reconnut ce qui fut leur existence : la mine de
Diélette n’appartenait plus qu’aux fantômes.
L’atome pouvait désormais remplacer la ferraille…
Difficile de trouver plus anglo-saxonne que cette région de France. Car
c’est la Basse-Normandie qui fut choisie par l’Etat Major allié pour la
libération de l’Europe du joug nazi.
Les Allemands ont d’ailleurs toujours cru que ce Débarquement n’était
qu’une manœuvre de diversion ; ils attendaient l’ennemi dans le Nord.
Il n’empêche : les soldats majoritairement nord-américains ou
britanniques furent fauchés dans leur jeunesse en essayant de prendre pied sur
les falaises depuis les plages d’Utah, d’Omaha, de Gold ou de Juno Beach.
Bayeux, cimetière britannique |
Fontenay, soldat Willetts, mort à 19 ans |
Les nombreux cimetières du Calvados rappellent leur sacrifice, tout comme
les cérémonies qui se tiennent chaque année en juin, à Arromanches par exemple.
"Oeuvre unique, le port artificiel se dressait en briseur de vagues, immense et résistant, pour acheminer troupes et matériel. Aujourd'hui, fissurés, les Phoenix abritent les oiseaux maritimes et les crabes"
Arromanches, 6 juin 2015 |
port artificiel |
Mais il n’est pas si éloigné le temps où la côte était un no man’s land
délaissé par les hommes.
Lorsque la cathédrale fut construite après l’an mil l'une des tours fut
flanquée d’un petit poste d’observation qui existe encore aujourd’hui.
L’idée était de surveiller la mer située à moins de dix kilomètres pour y anticiper
d’éventuelles invasions.
A l’approche des forces alliées en 1944 les Allemands qui gardaient Bayeux
prirent peur et s’enfuirent ; ne restèrent pour garder la ville que deux
guetteurs postés au sommet de la tour nord : on avait oublié de les
avertir.
La ville fut ainsi libérée sans combattre et, contrairement à Caen,
Lisieux, Saint-Lô ou Cherbourg, fut préservée des destructions.
Les Alliés en firent une base pour déclencher la Bataille de Normandie.
Comme les chars ne pouvaient pas circuler dans le vieux centre médiéval un
boulevard périphérique sortit de terre grâce au Génie ; il ceint encore
aujourd’hui la cité et a gardé son nom de « bypass ».
Cette fin d'été sonne le glas de mon travail saisonnier.
Le job ne fut pas forcément une sinécure, mais m'a permis de me poser dans une belle région de France.
Château de Fontaine-Henri, au faîtage impressionnant |
église champêtre |
fêtes médiévales de Bayeux |
une région de chevaux |
abbaye de Mondaye, spectacle nocturne |
basilique de Lisieux |
Après la vélodyssée, Mam m'a cette fois-ci rejoint seule à Bayeux en suivant le récent parcours de la vélofrancette qui relie Caen à La Rochelle.
A défaut d'être patagon le vent fut malgré tout bien tapageur ; l'exploit n'en fut que meilleur !
Quant à moi il ne me reste plus en ce début d'octobre qu'à retourner danser. Les pattes me démangent.
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