vendredi 4 octobre 2013

Batuva

Je quitte Cananéia et le camping des Bromélias avec regret. Silvia a été un hôte d'une incroyable gentillesse.


Ce matin il appelle quelques unes de ses connaissances pour s'enquérir du chemin que je compte suivre, et notamment de l'état d'une piste qui est en très mauvais état sur neuf kilomètres et qu'il m'a incité à ne pas prendre. Mais je n'ai pas envie d'autoroute.
Ceci fait il me trace l'itinéraire sur un bout de papier avec les directions à suivre et les kilométrages entre les villes et les villages.


Je prends un nouveau bac pour quitter l'île de Cananéia et trouve bientôt une piste bien roulante qui m'emmène jusqu'à Santa Maria et sa Pousada Telegrafo que m'a indiqué Silvia.





Il est 14 heures et je continue pour aller voir l'état de la mauvaise piste.
Après 3 kilomètres faciles malgré quelques passages boueux j'arrive à l'école. Mais là ça se complique car deux mauvais chemins s'annoncent. Comme l'école est vide je reviens à la Pousada où je décide de passer la nuit.

J'attends l'arrivée du patron prévue vers 19h30 en compagnie de Marcos qui s'occupe du petit comptoir. J'apprends qu'il travaille ici mais habite à Cananéia.
Quelques voisins s'arrêtent pour discuter, dont un homme au chapeau qui me fait penser à Tommy Lee Jones. Scène de vie intemporelle dans ce petit village d'une centaine d'habitants aux airs de Far West avec ses gamins qui jouent au base-ball sur le terrain de foot où ce jeune qui revient de la chasse avec machette à la ceinture et fusil sur l'épaule.
Marcos me fait l'inventaire des animaux de la forêt tropicale, dont de nombreux serpents venimeux et des jaguars.
Il me montre aussi sa Lamborghini, cadeau d'une de ses sœurs, dans laquelle il a rentré quelques unes de ses musiques favorites.
C'est au son du jukebox que je vois débarquer Daniel à bord du bus de transport scolaire. Il me dit qu'il est « monitor » à Cananéia et qu'il rentre tous les soirs à Santa Maria pour retrouver sa Pousada.

La maison n'est pas le grand luxe et la propreté laisse franchement à désirer, mais Daniel prépare un repas de bonne facture.
Il me montre le livre d'un cycliste brésilien, « Trilhando Sonhos » de Thiago Fantinatti, qui parti du Brésil a effectué une boucle en passant par Ushuaïa de plus de 15000 km : peut-être un exemple à suivre pour moi...


Le lendemain je quitte tôt Santa Maria en espérant faire plus que les 55 kilomètres d'hier. Quelle blague !
Daniel m'a indiqué le chemin à suivre après l'école. Je suis dépassé par l'institutrice qui s'y fait conduire en moto.
Le chemin est détrempé car comble de malchance pour moi il a plu toute la nuit, alors qu'hier il était quasiment sec.

A partir de l'école le chemin de croix commence. Je suis tout de suite dans l'ambiance dans ce qui va être mon programme de la journée : 6 kilomètres à parcourir sur une piste non seulement trempée mais impraticable à vélo.


Après 500 mètres parcourus en une demi-heure je me dis qu'il serait sage de faire demi-tour. Mais je croise deux femmes qui viennent de Batuva et je me dis que le chemin est peut-être meilleur plus loin. Tu parles.
Des rondins posés horizontalement aux planches de bois devenues de vraies savonnettes, des flaques dans lesquelles Paulo s'enfonce jusqu'aux roues aux mini rus à traverser je ne suis pas à la fête.
Par temps sec ça aurait été juste très difficile, mais par temps humide c'est l'enfer.
Il me faut sans cesse pousser le vélo tout en le soulevant pour éviter qu'il s'enlise et prendre un peu d'élan pour passer les mares d'eau jaunâtre.

Alors que je longe un ruisseau mes pieds se dérobent sur la berge molle. Je chute et me trouve le cul dans l'eau. Paulo hésite un peu, puis bon camarade me rejoins dans la flotte, le cul lui aussi dans l'eau à la verticale et la roue avant restée sur le chemin. Comme il m'est impossible de le remonter, je le ramène à l'horizontal dans le ruisseau et le déleste de toutes les sacoches pour le ramener sur la piste.


Et c'est ainsi que je vais progresser lamentablement sur les passages difficiles : je fais avancer d'abord Paulo, puis je retourne en arrière pour ramener en deux fois les sacoches.

Il me faudra 7 heures pour parcourir 6 kilomètres ; un record ! Et comme si tout n'était pas déjà si difficile les deux derniers kilomètres se font en montées et descentes sur un chemin muletier dont je me rappellerai longtemps. Comme le chemin de Saint-Jacques était doux.


Et puis après une ultime descente où j'ai peine à retenir le vélo tant les freins sont maculés de boue je retrouve une route, certes empierrée, mais une route : Batuva. Jamais ce nom m'aura paru aussi charmant. Toute la journée j'ai pensé à ce village comme à un paradis à atteindre. Et les voilà enfin ces quelques maisons perdues au milieu de nulle part. Ca y est, Christophe Colomb a trouvé son Eldorado.

A l'unique bar pas encore ouvert à 15 heures je profite d'un point d'eau public pour faire un nettoyage complet du vélo et des sacoches, puis je gagne la Pousada dont un habitant de Santa Maria m'avait parlé pour un repos plus que mérité.

Le lendemain matin je suis bien trop content de retrouver une route pour me soucier de l'état de la piste ou de la pluie d'orage soutenue qui m'accompagne pendant de longues minutes : je roule et c'est déjà suffisant.
Au bout de 20 kilomètres je récupère la piste qui à gauche conduit à Guaraçaba. De là un bateau pourrait m'emmener en plus de deux heures à Paranagua, mais comme le gérant de la Pousada n'était pas sûr des horaires, je préfère continuer à droite la route qui contourne la baie.

Les villages traversés sont à l'image de Batuva : des maisons en brique ou en bois parfois sur pilotis avec l'antenne satellite, un bar ou un restaurant souvent unique au centre des habitations très dispersées le long de la voie, l'église évangélique et l'école.

A midi j'ai déjà fait 50 kilomètres et les 70 annoncés sur la carte de Silva pour Paranagua me semblent bien hypothétiques. Je continue sur cette piste en montagnes russes avec des petits cols à franchir au milieu des serras couvertes de végétation luxuriante. Une chose est certaine : je ne mourrai pas de soif car les sources qui descendent de la montagne sont nombreuses.
La route compacte est très caillouteuse et s'avère difficile à négocier sur les portions à fort pourcentage. Puis la pluie d'orage revient en milieu d'après-midi pour ne pas me lâcher jusqu'au terme de l'étape.

La route goudronnée apparaît après 85 kilomètres au compteur, et il m'en reste encore 25 à accomplir pour arriver trempé, éreinté et courbaturé par les efforts de la veille à Morretes, située à 40 km de Paranagua que je n'atteindrai pas ce soir.

Le lendemain je fais le point sur la situation. Morretes se situe pour moi à la croisée de deux chemins : à l'ouest le Paraguay par Curitiba et les chutes d'Iguaçu ; au Sud Buenos Aires par l'Uruguay. Les chutes n'étant forcément les plus spectaculaires à cette époque de l'année je continue de longer la côte atlantique.

Mais il faut d'abord récupérer un peu d'argent. Les villes jusqu'alors traversées un peu à l'écart des circuits touristiques ne disposent pas de bancomats. L'occasion de visiter la ville de Paranagua que je gagne aujourd'hui en bus.



Les abords de la ville ne sont pas très reluisants. J'aperçois à gauche les containers pour la plupart estampillés « Hambourg » qui me sont devenus maintenant familiers et qui annoncent le port de marchandises où le Sambhar a fait escale il y a quelques jours.

Le centre historique n'est pas non plus à voir absolument. Le bâtiment du musée d'histoire et géographie ne paye pas de mine ; l'intérieur non plus. Deux petites salles où s'entassent dans des petites vitrines des objets de toutes sortes, de vieux téléphones, des machines à écrire, des balances, des écrans d'ordinateurs … une sorte de brocante mais où on ne peut rien acheter !
Mais la visite est plutôt distrayante.




L'intérêt de la ville réside dans sa proximité de l'Ilha do Mel. Les embarcadères permettent de démarrer des excursions pour cette île en forme de baleine classée à l'Unesco pour sa réserve de la biosphère.


Après avoir un peu rempli ma bourse je regagne Morretes par l'omnibus (ônibus), dont le jeu du chauffeur est de savoir si les gens assis dans les abris bus espacés le long de la quatre voies attendent réellement le bus où profitent juste d'une place assise.
J'avoue qu'à vélo l'abri bus est souvent pour moi un endroit de pique nique ou de protection contre la pluie.

Je regagne finalement Morretes qui s'avère être une ville charmante et qui présente une belle unité urbaine autour du Rio Nhundiaquara, avec ses petits kiosques à musique et ses boutiques d'artisanat et de produits locaux.







A faire aussi à Morretes, c'est le petit train touristique qui monte jusqu'à Curitiba avec des points de vue spectaculaires ; mais les horaires ne correspondaient malheureusement pas.



10 commentaires:

  1. petit déjeuner très copieux en savourant (tes aventures) je m'imagine à ta suite incapable de pousser un vélo dans 1 mètre de ta galère ; en plus de l'effort physique ,(chapeau "bas" pour ta patience et ta persévérance) qui t'emmène vers de plus hauts sommets .
    Je ne te souhaite même pas "bon courage" car tu l'as en toi dans le feu de l'effort .

    A bientôt Sébastien pour tes nouvelles aventures que je te souhaite moins amères .

    Bon vent "vers" Ushuaia ...

    Je t'embrasse

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  2. je pense que je vais suivre des routes un peu plus asphaltées, pour le moment en tout cas.

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  3. Yay! À la croisée des chemins, tu as choisi le bon : celui qui recroisera peut-être le mien (peut-être même plutôt deux fois qu'une, car si tu es la tortue qui avance lentement, mais avec ténacité, je suis plutôt le lièvre, qui fait de grands bonds, mais s'arrête pour de longues siestes).
    Si ton récit ne me donne pas tellement envie d'être à ta place, tes photos de chemins de campagne me font quand même un peu rêver. C'est un Brésil bien différend du mien que tu es en train de découvrir !
    J'espère que le moral tient bon malgré les flaques !
    Bise

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  4. oui, mais la tortue a décidé de prendre aujourd'hui le bitume, ce qu'il la fait avancer un peu plus vite (même si elle n'avait pas trop d'autres choix !)
    Le soleil est revenu (pour combien de temps ?) alors le moral est toujours meilleur ; en plus Guaratuba est vraiment tranquille. Ca change de la campagne brésilienne qui m'a donné bien du fil à retordre.
    J'espère que le lièvre a soigné sa fièvre,
    à bientôt de se revoir

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  5. oh Sebb quelle difficulté ! moi ça ne me fait pas rire .... là ça al'air mieux et grand Dieu merci..en tous cas je me rejouis des photos mais à quel prix pour vous ..bon courage à Paulo et à son conducteur .je vous embrasse et toujours .....MERCI.

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  6. le bitume a repris le dessus depuis deux jours, mais les pistes seront encore mon lot quotidien...

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  7. Salut revoilà les dompierrois !
    Que d'aventures pour toi depuis le Portugal.
    La vidéo de la vie à bord était géniale, m'étonne qu'elle ait plu à Marion.
    Ton compagnon Paulo est aussi aventurier que toi (mais lui il n'a pas le choix).
    Allez bonne continuation et fais gaffe aux serpents dans la forêt (conseil de ta trouillarde de soeur).
    Bises.

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  8. Salut Dompierre,
    je vais essayer de ménager un peu Paulo, sinon il risque de ne pas vouloir m'accompagner très loin !
    Pas vu de serpent encore, juste une sorte de gros lézard aujourd'hui mais qui a détalé à une vitesse incroyable ; les sauriens aussi peuvent être trouillards !

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  9. Hello Sebb!
    Un bonheur que de te lire et de suivre ton aventure! Je te souhaite que de belles découvertes et rencontres. Ca commence bien avec Lise, il n'y a pas à dire, vive les bretonnes ;-) Keep on!
    STé - Rennes

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  10. salut Sté,
    j'espère que tu as passé de bonnes vacances sous le soleil sri-lankais, et qu'il brille encore un peu à Rennes ;-)

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